Par Matija Kajić, Sustainability Researcher chez Triodos Investment Management
L'obsolescence programmée des logiciels est en train de devenir l'un des défis environnementaux majeurs de notre économie numérique. Comment y faire face ?
![]() Matija Kajić |
Près de la moitié des ordinateurs Windows dans le monde fonctionnent encore sous Windows 10, et à compter du 14 octobre 2025, 400 millions d'appareils ne pouvant pas passer à Windows 11 ne devaient plus bénéficier de mises à jour et d'une assistance gratuites. La semaine dernière, Microsoft a cédé à la pression de la société civile et a accepté d'offrir au moins une année supplémentaire d'assistance gratuite. Bien que positive, cette mesure ne fait que retarder la décision que les utilisateurs devront prendre dans un an : acheter de nouveaux appareils, commencer à payer Microsoft pour un sursis temporaire, passer à un autre système d'exploitation ou continuer à utiliser des logiciels non pris en charge (et donc non sécurisés).
Beaucoup opteront probablement pour la solution la plus simple et achèteront un nouvel appareil doté d'un matériel compatible avec Microsoft 11. On estime que cela générera 700 millions de kilogrammes de déchets électroniques évitables.
Pour les investisseurs, cet épisode révèle un angle mort.
Les entreprises technologiques ne sont pas tenues de divulguer le nombre d'appareils qu'elles rendent obsolètes, ni le coût environnemental de ces décisions. Au contraire, leurs rapports sur le développement durable continueront de mettre en avant des réalisations limitées, telles que l'utilisation d'énergies renouvelables dans leurs centres de données, tout en ignorant l'approvisionnement en ressources et l'impact des déchets inhérents à leur modèle économique. Apple en est un excellent exemple : l'entreprise vante fièrement son utilisation d'énergies vertes, mais reste muette sur la durée de vie moyenne des iPhone, les taux de réparation ou la disponibilité des pièces de rechange. En conséquence, les entreprises sont récompensées pour leurs discours soignés, et non pour s'attaquer aux causes profondes du gaspillage et de la surproduction. Cela entraîne une mauvaise allocation des capitaux, les investisseurs finissant par financer les meilleurs discours sur le changement, plutôt que le changement réel.
Un autre problème est que lorsque le gaspillage systémique reste invisible, les marchés financiers peuvent mal évaluer et mal tarifer les responsabilités environnementales des entreprises. Ce type d'inadéquation compromet les objectifs environnementaux et crée des risques financiers lorsque les régulateurs, les assureurs ou les consommateurs commencent enfin à prendre en compte ces coûts cachés dans le prix des activités commerciales.
Si l'obsolescence programmée des logiciels est l'un des principaux facteurs à l'origine des déchets électroniques, la conception même du matériel informatique en est la cause profonde. Les nouveaux logiciels exigeant une puissance de traitement toujours plus importante, de nombreux appareils anciens ne sont plus en mesure de suivre le rythme, car ils n'ont pas été conçus pour évoluer. C'est pourquoi la véritable solution consiste à repenser la conception du matériel informatique afin de rendre les appareils plus modulaires, plus faciles à réparer et plus évolutifs.
Fairphone en est un excellent exemple. Son modèle commercial démontre qu'il est possible de faire progresser les logiciels tout en réduisant les déchets matériels (en permettant aux utilisateurs de remplacer ou d'améliorer des composants individuels plutôt que de jeter régulièrement leurs appareils).
Investir dans des entreprises qui appliquent ces principes de conception modulaire pourrait contribuer à aligner l'innovation technologique sur la circularité et à réduire certains des impacts environnementaux négatifs inhérents aux modèles commerciaux existants.
Selon la dernière version du projet ESRS E51, les entreprises technologiques ne seraient toujours pas tenues de rendre compte des déchets générés par les consommateurs, même si ceux-ci sont directement causés par leur modèle économique. Nous avons discuté avec Cristina Ganapini, coordinatrice de la coalition Right to Repair Europe, des trois lacunes du projet.
En matière de divulgation des informations sur les produits, l'ESRS exige des entreprises qu'elles rendent compte de la durabilité prévue et du degré de réparabilité de leurs produits clés. Dans l'exemple de Microsoft , ces « produits clés » sont principalement des logiciels, et non des appareils physiques. En matière de divulgation des informations sur les déchets, l'ESRS exige que les entreprises rendent compte des flux de déchets provenant de leurs propres activités (dans ce cas, les serveurs, les déchets de bureau, les emballages). Les ordinateurs portables et les PC mis au rebut n'entrent pas dans cette catégorie, car ces déchets proviennent des consommateurs et non des usines ou des centres de données de l'entreprise.
La divulgation des déchets n'est obligatoire que si ceux-ci sont jugés « importants » par l'entreprise elle-même. Cela signifie que les entreprises peuvent décider elles-mêmes si l'obsolescence forcée du matériel est suffisamment importante pour être divulguée. Compte tenu des implications en termes de réputation et de finances, on imagine facilement qu'elles concluraient que ce n'est pas le cas.
La réglementation doit aller plus loin et exiger explicitement la divulgation des déchets post-consommation générés par le modèle économique d'une entreprise, mais les investisseurs doivent également poser les bonnes questions pour encourager les entreprises à concevoir des produits modulaires, réparables, réutilisables et, surtout, durables.