La stratégie « ici et maintenant » des Trumponomics

Par Yves Longchamp, Head of Research ETHENEA Independent Investors

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Yves Longchamp

De nombreux indicateurs économiques et financiers sont venus confirmer le solide démarrage de l’année 2018. Parmi les grandes économies, les États-Unis ont été les plus dynamiques. Comme le montre le graphique 1, l'économie américaine n’a cessé de gagner en puissance au cours des deux dernières années, alors que les autres ralentissaient. L’idée d’un cycle conjoncturel synchrone, en vogue au cours des premiers mois de l’année, est désormais inappropriée. Nous estimons que la divergence des cycles conjoncturels résulte directement des « Trumponomics ».

Les « Trumponomics » désignent, comme vous pouvez l’imaginer, la doctrine économique suivie par le président Donald Trump. Celle-ci peut se définir en deux mots : ici et maintenant.

« Make America Great Again » et « America First » sont les deux slogans que le président a martelés tout au long de sa campagne et qu’il met en pratique depuis son arrivée dans le Bureau ovale en janvier 2017. Cette stratégie consiste à hypothéquer l’avenir, à récolter les dividendes de la croissance économique future maintenant et à rapatrier la plus grande partie possible des dividendes de la croissance mondiale ici (aux États-Unis).

Donald Trump hypothèque l’avenir en stimulant l’économie avec une politique budgétaire expansionniste financée par la dette publique. Combinées, les réformes fiscales et les dépenses budgétaires correspondent à 300 milliards de dollars par an de dépenses supplémentaires sur les deux prochaines années (une incitation équivalente à 1,5 % du PIB par an). Ce mouvement tendra ensuite à décliner, mais restera positif jusqu’en 2028.

Le président Trump rapatrie les dividendes de la croissance mondiale, augmentant ainsi la part de marché des États-Unis, en redistribuant les cartes à l'échelon international. Une stratégie que seule la première puissance économique, financière, politique et militaire du monde peut se permettre. À titre d’exemple, il a menacé ses partenaires économiques d’Amérique du Nord (ALENA), d’Europe et de Chine en imposant des taxes douanières afin de négocier des accords plus favorables aux États-Unis ultérieurement. Sur le front géopolitique, il n’est pas non plus resté inactif (Iran, Corée du Nord, Israël, etc.), démontrant au monde toute l'étendue de son autorité afin de maximiser le pouvoir de négociation des États-Unis¹.

Stratégie court-termiste

La stratégie du « ici et maintenant » est clairement court-termiste. Les dépenses budgétaires financées par la dette entraînent des coûts élevés pour les générations futures, et une plus grande part de marché n’implique pas que le gâteau à se partager sera plus gros demain. Selon l’adage populaire, rien n’est gratuit. Autrement dit, l’heure de la désillusion viendra tôt ou tard.

Que cela nous plaise ou non, les « Trumponomics » portent actuellement leurs fruits ! Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Selon le consensus Bloomberg, les prévisions de croissance du PIB pour cette année s’établissent à 2,9 %, un niveau inédit depuis la crise financière mondiale. Le taux de chômage s'inscrit quant à lui en deçà de 4 %, un niveau historiquement bas observé uniquement durant quelques mois en 2000 ainsi qu'à la fin des années 1960. Enfin, les nouveaux records historiques enregistrés par les indices boursiers indiquent que la valeur actuelle des entreprises américaines a atteint un nouveau plus haut.

Florilège des décisions et événements (sur la seule année 2018) signés Donald Trump pour illustrer la stratégie du « ici et maintenant » : lois sur les baisses d’impôts et l’emploi qui sont entrées en vigueur le 1er janvier ; transfert de l’ambassade des États-Unis de Tel Aviv à Jérusalem annoncé le 23 janvier ; loi budgétaire bipartite 2018 approuvée le 9 février ; imposition de taxes douanières sur les importations chinoises le 4 avril ; imposition de taxes douanières sur les importations d’acier et d’aluminium depuis l’Union européenne, le Canada et le Mexique le 1er juin ; rencontre entre Donald Trump et le leader nord-coréen à Singapour le 13 juin ; menace de sortir de l'OTAN le 12 juillet ; restauration des sanctions contre l’Iran le 6 août ; menace de quitter l’OMC le 31 août.

La courbe des taux : un signal d’avertissement sans équivoque

Les marchés actions apportent une réponse simple à cette question. La majorité des marchés actions célèbrent la réussite des « Trumponomics », comme en témoignent les nouveaux sommets atteints par les indices S&P 500, Nasdaq et Russell. Seul le Dow Jones se situe encore quelques points en dessous de son plus haut historique.

Le marché obligataire se montre partiellement enthousiaste. Pendant la majeure partie de l’année, le rendement des bons du Trésor américain à 10 ans est resté légèrement en dessous de 3 %, alors que les rendements à plus court terme enregistraient une hausse significative dans le sillage du cycle de resserrement et des indications prospectives (forward guidance) de la Fed. Dans le contexte de la stratégie du « ici et maintenant », la structure de la courbe des taux est optimiste sur le court terme, mais incertaine sur le long terme. Elle nous dit que dans les 10 années à venir, il faudra bien payer la note à un moment ou à un autre.

L’aplatissement de la courbe des taux ne présage rien de bon pour l’avenir. Lorsque le spread entre les rendements à long terme (10 ans) et à court terme (2 ans) devient négatif, le risque qu'une récession survienne dans les 12 mois suivants augmente sensiblement. Le président Trump n’a pas été en mesure d’inverser la contraction des spreads qui avait démarré sous Obama.

Dans les faits, les « Trumponomics » ne bouleversent que superficiellement la situation actuelle et nous n’observons pas de changements profonds et durables. La courbe des taux nous envoie un signal d’avertissement sans équivoque. Ce facteur supplémentaire nous conforte dans l’idée que l’économie américaine arrive au bout de son cycle conjoncturel et que la réussite économique de Donald Trump ne fait qu’en différer la fin.