De quels outils les banques centrales disposent-elles encore ? Six options.

Compte tenu de la persistance de taux d’intérêt historiquement bas, quelles sont les options qui s’offrent encore aux banques centrales ? L’analyse de Piya Sachdeva, économiste chez Schroders

Piyasachdeva
Pia Sachdeva

Après la grande récession, la reprise superficielle s’est étirée en longueur, entraînant des taux d’intérêt très bas. Les banques centrales n’ont donc guère de marge de manœuvre pour réduire encore davantage les taux d’intérêt. En fait, comme la Fed avait déjà procédé à des hausses de taux d’intérêt, elle est la seule à disposer d’une telle marge de manœuvre. ,

Option 1 : Relance de l’assouplissement quantitatif

La relance de l’assouplissement quantitatif (QE) est une mesure qui peut être mise en œuvre rapidement. Au plus fort de son utilisation, les bilans de la Fed et de la BCE représentaient respectivement 25 % et 40 % du PIB. Les banques centrales japonaise et suisse ont démontré qu’un bilan supérieur à 100 % du PIB fait partie des possibilités. Mais on pourrait rencontrer une pénurie d’obligations d’État à racheter. La BCE par exemple est soumise à une règle lui interdisant de détenir plus de 33 % d’une dette souveraine. Les banquiers centraux peuvent cependant envisager d’élargir le champ du QE. La FED pourrait ainsi étendre le QE au rachat d’obligations des entreprises, ce que la BCE faisait déjà. La Banque du Japon va encore plus loin en rachetant également des actions et des biens immobiliers.

Option 2 : Davantage de guidage des anticipations

Après l’introduction de l’assouplissement quantitatif, le guidage des anticipations (forward guidance) – par l’annonce des mesures que les banques centrales envisagent pour l’avenir – a aidé ces dernières à orienter les prévisions de taux d’intérêt sans pour autant modifier réellement le niveau de ceux-ci. En 2012, la BCE a aussi sous-entendu que l’assouplissement quantitatif était imminent lorsque Draghi annonça qu’il ferait « ce qu’il faudra » ("whatever it takes") pour sauver l’euro. La BCE a ainsi réussi à assouplir les conditions financières et contribué à mettre fin à la crise de la dette souveraine.

Les banques centrales peuvent continuer à utiliser la forward guidance, mais cet outil a aussi ses limites. Les taux d’intérêt futurs ont une limite inférieure et en s’engageant sur la politique future, les banques centrales se retrouvent pieds et poings liés. De plus, si les lignes directrices ne font pas l’objet d’un suivi, notamment en ce qui concerne les taux d’intérêt plus élevés, cela peut poser un problème de crédibilité. Le gouverneur de la Banque d’Angleterre, Mark Carney, a été surnommé « petit ami peu fiable » ("unreliable boyfriend") pour avoir changé sa position sur la hausse des taux d’intérêt.

Option 3 : Taux d’intérêt différenciés

Les taux d’intérêt négatifs nuisent à la rentabilité du secteur bancaire à cause de la pression sur la marge d’intérêt. C’est en particulier le cas pour les banques qui sont plus dépendantes du financement des dépôts. La BCE envisage actuellement un taux de dépôt négatif différencié. De cette façon, elle limitera les taux d’intérêt négatifs aux seuls dépôts excédentaires déposés à la banque centrale, ce qui soutiendra la rentabilité des banques tout en permettant de maintenir plus longtemps une politique monétaire à taux d’intérêt bas.

Option 4 : Révision des objectifs d’inflation

Lorsque l’inflation est durablement basse, les banques centrales peuvent aussi revoir le cadre. La Fed envisage par exemple un objectif d’inflation moyen. Cela permettra de maintenir les prévisions d’inflation, même si l’inflation est temporairement inférieure à la cible.

Option 5 : Contrôle de la courbe de rendement

En 2016, la Banque du Japon a introduit le contrôle de la courbe de rendement qui se veut une modification de l’assouplissement quantitatif. Grâce à cela, elle a pu diminuer ses rachats d’obligations d’État tout en maintenant les taux d’intérêt à un niveau bas. Cette stratégie a contribué à rendre le QE plus durable. Cette option a aussi suscité l’intérêt des États-Unis.

Option 6 : Hélicoptère monétaire

L’ultime option consiste à faire tourner la planche à billets et à distribuer directement la monnaie ainsi créée. Cette stratégie est aussi appelée hélicoptère monétaire. C’est comparable à une monétisation de la dette souveraine, mesure par laquelle les banques centrales financent directement le gouvernement. Cette pratique est actuellement encore interdite pour la plupart des banques centrales. Elle nécessite une coordination monétaire et budgétaire. Outre les problèmes d’inflation, l’hélicoptère monétaire constitue une grave menace pour la discipline budgétaire et l’indépendance de la banque centrale. Dans la pratique, une politique monétaire accommodante aide les gouvernements à emprunter à des taux avantageux et la dette publique est en fait déjà financée.

Conclusion

Compte tenu du nombre limité d’options qui s’offrent aux banques centrales, lorsque surviendra le prochain ralentissement économique, la solution devra venir de la politique budgétaire du gouvernement. La plupart des économies développées disposent d’une certaine marge de manœuvre à ce niveau.

Les banquiers centraux ont prouvé leur capacité à faire preuve de créativité en ce qui concerne la politique monétaire et font plus que simplement baisser ou relever les taux d’intérêt. Plusieurs outils restent disponibles, mais chacun d’eux a aussi ses inconvénients. La Réserve fédérale et la Banque d’Angleterre peuvent réduire leurs taux d’intérêt et relancer l’assouplissement quantitatif. La BCE n’a guère de marge de manœuvre au niveau de la réduction des taux d’intérêt, mais il lui reste encore un peu de jeu. La BCE peut aussi relancer l’assouplissement quantitatif, mais cela nécessitera sans doute un relèvement du seuil maximal pour les obligations souveraines. La Banque du Japon est celle qui a le moins de marge de manœuvre. Toutes les banques centrales peuvent encore avoir recours au guidage des anticipations.

Au final, les pays capables de coordonner leurs politiques monétaire et budgétaire sont ceux qui s’en sortiront le mieux lors d’une prochaine récession. Compte tenu des contraintes politiques et de la marge de manœuvre budgétaire limitée, il s’agit d’un défi de taille pour la zone euro.