La contradiction du schiste

Patrick S. Kaser, CFA, Directeur général et Gestionnaire de portefeuille, Brandywine global (une société Legg Mason )

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Patrick Kaser

« L'or noir », comme le métal précieux auquel il doit son surnom, a infligé de nombreuses désillusions aux investisseurs au cours des dix dernières années. Si le métal précieux n'affecte plus autant l'économie mondiale que par le passé, les cours du pétrole ont un effet spectaculaire sur le comportement des consommateurs, l'emploi, les budgets et la richesse de nombreux pays. Il a même des répercussions dans des secteurs qui vont bien au-delà de l'énergie, de l'automobile à l'aviation en passant par la chimie et les services collectifs. Très rares étaient ceux qui avaient vu venir l'effondrement des cours du pétrole, de 100 $ à moins de 30 $, rares étaient ceux qui avaient prédit qu'ils remonteraient au-dessus de 50 $, et le marché est bien plus mu par la peur que par l'optimisme pour l'avenir.

Ces craintes s'expliquent en partie par la croissance de la production américaine – l'essor du schiste a bouleversé la production de pétrole permettant aux États-Unis de renouer avec une position de force relative. Et pourtant, au niveau mondial, ce secteur semble toujours peiner à trouver un équilibre entre l'offre et la demande. Au mieux, l'on pourrait penser que les problèmes pourraient être réglés par des prix plus élevés, mais ce n'est pas forcément le cas. Penchons-nous sur le scénario qui semble l'emporter : la production de schiste va dépasser les attentes et le pétrole va plutôt se rapprocher des 40 $ que des 60 $. De prime abord, c'est bon pour les États-Unis. Une hausse de la production s'accompagne d'une augmentation du nombre d'emplois dans les services, de davantage d'infrastructures, d'une baisse des importations et des prix pour les consommateurs si la prévision à 40 $ est exacte.

Schaliegas

Or, certaines parties de la chaîne d'approvisionnement – le sable et les camionneurs – tournent déjà à haut régime, même aux niveaux actuels de production. Il n'y a pas assez d'infrastructures comme des rails et des conduites, pour exploiter beaucoup plus certains bassins, comme le bassin permien. Cette pénurie laisse imaginer que les coûts vont augmenter, alors que les compagnies pétrolières ne gagnent pas grand-chose ni ne génèrent des flux de trésorerie supplémentaires avec des prix oscillant entre 40 $ et 45-6 $. Dans certains cas, des entreprises devraient encore puiser dans leurs réserves.

Deuxième problème : nous disposons de données qui indiquent un sous-investissement massif en dehors des USA, à tel point qu'une pénurie d'approvisionnement semble possible dans les années à venir en admettant une croissance raisonnable de la demande. Nous savons que les pays producteurs de pétrole accumulent des déficits considérables avec un baril à 50 $. Il est peu probable que la production de schiste des États-Unis puisse augmenter de 3-5 millions de barils au cours des prochaines années, ce qui pourrait cependant être nécessaire si l'hypothèse du sous-investissement est juste. Certes certains pays, autres que les USA, disposent de pétrole de schiste et de ressources en gaz naturel techniquement récupérables, mais il faudra encore attendre longtemps avant d'obtenir une production fructueuse. Récemment, la Pologne s'est essayée à la production de schiste, en vain. Tandis que la géologie est favorable dans de nombreux endroits, les infrastructures – notamment les pipelines, les services, les installations d'acheminement – n'existent tout simplement pas là où il en faudrait. De surcroît, de nombreux pays ne disposent pas de grands marchés de capitaux liquides, des droits miniers et des ressources abondantes en eau dont jouissent les USA.

Enfin, le comportement de l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (OPEP) suscite l'inquiétude. Les membres vont-ils s'en tenir à la réduction de la production ? Après l'annonce de la diminution de la production de l'OPEP en mai, les stocks aux USA n'ont pas baissé autant qu'escompté tandis que les cours du pétrole n'ont pas augmenté – malheureusement, l'engagement de l'organisation n'a pas eu l'effet attendu. Ils veulent tous des prix plus élevés et il semble tout particulièrement que l'Arabie saoudite souhaite que les cours dépassent la barre des 55 $ pour une éventuelle introduction en bourse d'Aramco, mais il leur faut également des flux de trésorerie. Si les membres de l'OPEP ne croient pas que les prix sont à la hausse, l'attrait d'une maximisation des flux de trésorerie grandit.

Voilà qui nous amène à la contradiction du schiste : une production plus élevée de schiste accroît l'offre et fait donc baisser les prix du pétrole dans l'ensemble tout en augmentant les coûts de production du schiste. Une baisse des cours du pétrole débouche sur une croissance économique plus forte dans le monde, ce qui accroît la demande de pétrole. Grâce aux prix plus bas, l'inflation est maîtrisée et les taux d'intérêt restent donc bas. En raison des cours du pétrole bas, il existe un sous-investissement continu en dehors du secteur du schiste. Par conséquent, quand la demande augmentera, un écart d'approvisionnement devrait survenir dans 2 à 4 ans.

Et qu'adviendra-t-il alors ? Il semble qu'une hausse de la production à bas coût du schiste entraîne en fin de compte le monde vers un renchérissement des cours du pétrole – peut-être à plus de 100 $ le baril – ce qui enrayerait la croissance. Sinon, les prix bas du pétrole pourraient déclencher des crises géopolitiques et des troubles dans les états rentiers, ce qui pourrait également résulter en une hausse des prix. Il est peu probable que les sources d'énergie alternative comblent le vide au cours des cinq prochaines années. Les conséquences d'un tel scénario nuisent aux rendements, aux devises, à la croissance mondiale, à la géopolitique – rien n'est à l'abri!

La meilleure issue, et aussi la plus stable, semblerait être un équilibre entre une hausse modérée de la production de schiste et des cours du pétrole légèrement supérieurs à 50 $, pour que suffisamment d'investissements puissent être consentis en dehors des États-Unis pour renforcer l'offre à l'avenir. À nos yeux, le marché estime qu'un cours légèrement supérieur à 50 $ est le juste équilibre, du moins pour l'instant, mais peut-on l'y maintenir ? Nous sommes sceptiques. L'ennui, c'est que personne n'a intérêt à veiller sur ce juste équilibre, qui était de mise jusqu'à présent. Par conséquent, les investisseurs devraient probablement s'attendre à l'inattendu, et ce, avec sérieux. Même si les compagnies énergétiques semblent être en meilleure forme qu'il y a six mois, d'aucuns craignent que les stocks n'aillent pas plus bas – un sentiment qui affecte les stocks d'énergie à court terme, mais qui pourrait présenter des possibilités à long terme.