L’Europe est-elle réellement tirée d’affaire ?

Par Wolfgang Bauer , gérant au sein de l’équipe Taux de M&G Investments

Wolfgangbauer
Wolfgang Bauer

Un nombre croissant d’indicateurs ont dernièrement semblé indiquer que l’économie européenne pourrait être au bout de ses peines et se diriger vers une reprise plus robuste. Le sentiment des investisseurs européens s’est également considérablement amélioré. La question clé est bien sûr de savoir si l’Europe est réellement tirée d’affaire ou non.

Je dirais qu’il est beaucoup trop tôt pour donner le signal de fin d’alerte.

Premièrement, la croissance économique en Europe reste anémique et fragile. En fait, avec une croissance du PIB réel de seulement 0,1 %, le 4ème trimestre 2019 a constitué le plus mauvais trimestre dans la zone euro depuis le 1er trimestre 2013. Les économies de la France (-0,1 %) et de l’Italie (-0,3 %) se sont contractées. En outre, les risques de récession en Allemagne ont plus que jamais refait leur apparition.

En outre, plusieurs risques importants subsistent en arrière-plan et pourraient assombrir encore un peu plus les perspectives de la zone euro.

  • Le coronavirus. Si toutefois la situation devait s’aggraver, la croissance du PIB en Europe serait très certainement touchée. La demande chinoise de produits européens pourrait marquer le pas et les chaînes d’approvisionnement mondiales pourraient être perturbées. Toute nouvelle aggravation de la situation sur le front du coronavirus pourrait également susciter des inquiétudes sur les marchés internationaux en émoussant l’appétit pour le risque.

  • Les guerres commerciales : Même si les différends commerciaux entre les États-Unis et la Chine sont résolus de manière concluante, il est tout à fait possible que l’administration Trump se polarise rapidement sur l’Europe. Il s’agit d’une année électorale aux États-Unis et les mesures protectionnistes sont des politiques populaires auprès d’une partie non négligeable de l’électorat.

  • Le Brexit : après la sortie du Royaume-Uni de l’Union européenne le 31 janvier 2020, la période de transition de 11 mois a commencé. Le risque pour l’UE est, bien sûr, qu’à partir du 1er janvier 2021, les échanges commerciaux avec le Royaume-Uni se fassent sur la base des conditions de l’OMC, ce qui pourrait désorganiser les chaînes d’approvisionnement et freiner l’activité économique.

  • La politique en Italie. Le gouvernement italien reste sous pression en raison de la popularité grandissante de la Ligue et du déclin de l’adhésion au Mouvement 5 étoiles à l’autre extrémité de l’échiquier politique. Une implosion du gouvernement italien enverrait des ondes de choc sur les marchés européens et accroîtrait l’incertitude politique qui pèserait lourdement sur une économie italienne déjà chancelante.

    Le fantôme de 2018

    Compte tenu de ces risques – et de l’atonie persistante des chiffres de la croissance – je trouve les valorisations des actifs risqués européens plutôt étonnantes. Aux niveaux actuels, il ne reste guère de marge d’erreur, dans la mesure où nous sommes (presque) revenus aux niveaux du marché observés pour la dernière fois au début de l’année 2018.

    Nous savons tous ce qu’il est advenu par la suite en 2018. Les guerres commerciales se sont soudainement intensifiées, les partis anti-establishment de la Ligue et du Mouvement 5 étoiles ont sensiblement progressé lors de l’élection italienne de mars 2018 et les statistiques économiques mondiales ont plongé. En conséquence, le sentiment des investisseurs s’est dégradé et les marchés sont rapidement entrés dans une phase prolongée d’aversion au risque, conduisant ainsi tous les actifs risqués à enregistrer des performances annuelles extrêmement négatives. Je ne suggère pas que l’histoire doive se répéter. Mais, je ne peux m’empêcher de penser que les marchés ont à nouveau mis la charrue avant les bœufs et que l’optimisme béat règne en maître absolu.

    Il est indéniable que les banques centrales, et la BCE en particulier, apportent une aide importante, laquelle assure des facteurs techniques favorables et soutient ainsi les prix des actifs. Mais, pour rappel, la BCE achetait des actifs à hauteur de 30 milliards d’euros par mois de janvier à septembre 2018 – soit 50 % de plus qu’à l’heure actuelle – et les marchés n’en n’ont pas moins lourdement chuté. Dans ce contexte, je pense donc qu’une attitude plutôt prudente à l’égard des actifs risqués européens est justifiée. Réduire l’exposition au risque de marché et remonter le long de l’échelle de la qualité de crédit me semblent des mesures judicieuses à ce stade.