Qu’ont (parfois) en commun la construction des ponts et les marchés financiers ?

Deux jours après son inauguration en juin 2000, le Millennium Bridge à Londres a dû être fermé pendant deux années. La circulation des piétons et le vent entraînaient d’importantes oscillations latérales que les ingénieurs n’avaient pas pris en compte dans leurs calculs. De la même façon, dans la théorie des marchés financiers, le comportement humain, dans la pratique, est très différent de celui de l’homo oeconomicus décrit dans les manuels scolaires.

En tant que gérant de portefeuille, l’on se retrouve souvent à envier les collègues ingénieurs. Lors de la construction d'un pont, le succès final dépend encore presque exclusivement de l’application précise et ordonnée d’hypothèses d'ingénierie. Les aspects liés à des comportements imprévus ne représentent pas un risque majeur, à quelques rares et spectaculaires exceptions près, comme celle du Millennium Bridge. En revanche, à l’examen des marchés boursiers depuis leurs débuts, depuis la crise de la tulipe hollandaise au 17ème siècle jusqu'à celle du coronavirus en ce moment, même les meilleures études en économie n’offrent aucune garantie de succès sur les marchés. Les facteurs externes sont trop complexes, les prévisions trop incertaines et la psyché humaine trop présente. Le célèbre expert boursier André Kostolany estimait en son temps que le rôle de la psychologie dans l'évolution des marchés ne devait en aucun cas être sous-estimé : à l’en croire, elle explique 90 % des mouvements des marchés à court et à moyen terme.

Quel que soit le pourcentage exact, le moins que l'on puisse dire est que l’influence du comportement humain sur les marchés financiers est importante. C’est pourquoi il est évident que cette composante occupe une place tout aussi importante dans nos analyses macroéconomiques. Outre les chiffres des économies nationales, la géopolitique et les politiques budgétaires et monétaires, les fondamentaux des entreprises, les valorisations absolues et relatives ou les dérivés de taux d’intérêt, de matières premières et des devises, ce sont précisément ces aspects désignés avec l’expression de « sentiment » qui contribuent à notre vision d’ensemble et qui viennent enrichir la prise de décision déterminant une exposition aux actions adaptée du point de vue du risque et des rendements. Parfois, ce sont justement ces facteurs, plutôt non conventionnels à première vue, qui se révèlent décisifs pour une allocation réussie dans les situations marquées par de profondes incertitudes (ou prétendument sûres).

Déclics

Si l’on se penche sur l’historique d’allocation d’actifs tactique d’Ethna-DYNAMISCH, les quelques années qui viennent de s'écouler regorgent d’exemples dans lesquels l'analyse du sentiment des investisseurs est finalement l’élément qui a fourni le signal le plus significatif dans la gestion active de la part actions et la maîtrise des risques. Le fait que les investisseurs anticipent le pire et se positionnent en conséquence, ou au contraire qu’ils prévoient un avenir radieux, manifestant leur euphorie au sein du portefeuille, peut justement faire une différence décisive. C’est ce qui s’est produit par exemple au début de l’année et nous a incités à réduire progressivement les risques actions et mettre en place des couvertures, alors que les premiers cas de coronavirus en Chine n’avaient même pas encore été annoncés. Quelques mois plus tôt, à la fin de l'été 2019, la situation du point de vue de l’économie comportementale était encore diamétralement opposée, ce qui, à l’époque, et en considération d’autres aspects, nous avait convaincus de renforcer largement notre exposition aux actions, ce qui nous a permis de profiter de la hausse des prix.

Le dernier déclic en date dans ce contexte de psychologie des marchés devait avoir lieu les 10 et 11 mars de cette année : les cours des actions se sont effondrés de près de 20 % depuis leurs sommets, et nous avons d’abord adopté une attitude constructive et acheteuse, car nous sous-estimions encore les conséquences ultérieures de la pandémie de COVID-19. Enfin, le moment était venu d’ «acheter au son du canon », comme le dit un adage boursier. Mais plus nous regardions autour de nous, plus il devenait clair que tout le monde se positionnait à l’achat. Au lieu de l’esprit de capitulation régnait comme une atmosphère de cupidité contrôlée. Rapidement, de plus en plus de signes ont indiqué que le marché actions était encore loin d’atteindre un plancher durable : c’est pourquoi Ethna-DYNAMISCH a de nouveau renforcé de 30 % ses couvertures actions, pour atteindre son plus faible niveau d’exposition nette au marché depuis plusieurs années. Jusqu’aux injections de liquidités inédites des banques centrales, les actions ont perdu 20 % de plus. Cela nous a permis de limiter les pertes à une époque où les marchés des actions ont encore perdu près de 20 % dans les jours qui ont suivi, jusqu'à ce que les banques centrales injectent une quantité de liquidités sans précédent.

Les exemples pratiques ci-dessus, mais également les données scientifiques, démontrent toute l’importance d’une approche de gestion prudente pour les fonds multi-actifs. Car les fortes vibrations ne font pas que rendre les ponts instables : souvent, elles ont aussi raison de la capacité de résistance des investisseurs dans les phases de tension sur les marchés. Ce qui est également (vous l’aurez deviné) l’une des découvertes de la finance comportementale.