Par Florent Delorme, Macro Strategist chez M&G Investments
L’élection américaine peut-elle jouer un rôle déterminant sur la trajectoire à venir des marchés et du dollar ?
Florent Delorme, |
Débutons par l’analyse des programmes, en gardant en tête qu’un président américain est tributaire du congrès sur lequel il a une prise limitée du fait du calendrier de renouvellement des deux chambres et d’une certaine autonomie politique des élus. C’est la raison pour laquelle un programme est rarement appliqué dans son intégralité et bien souvent amoindri.
Sur le plan de la politique économique, une éventuelle présidence de Biden sera plus dispendieuse et verra les impôts augmenter. La forte dépense publique provoquera une croissance sans doute un peu plus élevée que les hausses d’impôts ne contrarieront pas significativement. La dégradation des comptes publics pèsera sans doute sur le dollar, peu soutenu par une politique monétaire de taux bas. Mais le statut de devise de référence de la monnaie américaine dans un monde toujours très incertain contribuera vraisemblablement à éviter le scénario d’une baisse franche. L’inflation sera un peu plus vigoureuse sous une présidence Biden du fait d’une relance plus massive, ceci conduisant à un calendrier de resserrement monétaire peut-être un peu plus rapide mais dans le cadre d’une politique qui restera de toute manière très accommodante.
Sur le plan sectoriel, la santé demeure le secteur sensible tant le clivage entre les démocrates et les républicains est grand sur le sujet. Les démocrates conservent la volonté d’étendre la couverture obligatoire au plus grand nombre, Trump milite quant à lui pour une réduction des prix des médicaments. Le sujet de la couverture santé est si clivant qu’il est régulièrement soumis à l’appréciation de la Cour suprême, comme ce sera encore une fois le cas le 10 novembre prochain. Dans l’attente d’une clarification des politiques de santé à venir, la volatilité sera de mise sur les valeurs de la santé.
Qu’en sera-t-il pour les bénéfices des entreprises en cas de victoire de Biden ? La hausse des impôts sera pénalisante mais en même temps la croissance sera stimulée par la relance publique : Goldman Sachs en conclut dans une note de recherche du 9 octobre dernier que les bénéfices du S&P 500 seront in fine peu touchés par l’élection de Biden, inférieurs de 2 à 3% seulement aux prévisions actuelles en 2023 et 2024.
Reste la question de la politique internationale, en particulier la politique commerciale avec la Chine. Biden devrait se montrer moins offensif sur la question des droits de douane et permettre ainsi une certaine relance du commerce mondial. A l’inverse la volonté des USA de revenir dans les instances internationales et de rompre avec les tendances isolationnistes de l’administration Trump ne devrait pas être du goût de la Chine qui avait profité de l’espace laissé par l’Oncle Sam pour tenter de s’imposer comme la nouvelle puissance structurante de l’économie mondiale.
Venons-en maintenant à la question de la transmission du pouvoir, dont certains craignent qu’elle soit difficile. Cette interrogation n’est pas si saugrenue qu’il y paraît quand on sait que les résultats ne seront peut-être pas connus rapidement et que Trump a accusé à de multiples reprises les démocrates de préparer des fraudes importantes. Le sujet est pris au sérieux au point que des universitaires proches des démocrates et réunis au sein d’un groupe de travail dénommé « Transition Integrity Project » envisagent la possibilité de manifestations de rue très importantes opposant les deux camps. Cela n’est pas pour rassurer quand on connaît les divergences qui séparent radicalement les partisans de Trump de ceux de Biden.
On n’ose envisager la possibilité d’un enlisement tant cela serait dommageable pour le dollar et les marchés. La démocratie américaine devrait in fine montrer sa solidité mais le vrai risque est celui de voir deux Amériques irréconciliables dans l’incapacité de surmonter leurs divisions.