Les thèmes clés pour les marchés obligataires mondiaux

Par Jim Leaviss, CIO de l’équipe Taux M&G Investments

Deux thèmes sont susceptibles d’influencer le sentiment des investisseurs obligataires d’ici la fin de l’année : le tapering et l’inflation.

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Jim Leaviss
Le tapering reste au cœur des préoccupations sur les marchés obligataires mondiaux, les récentes déclarations de la Fed indiquant un ralentissement des achats d’obligations d’ici la fin de l’année. Cette décision s’explique par la résurgence du marché du travail américain, dont environ la moitié des emplois perdus pendant la pandémie ont été recréés.

Le taux de chômage américain s’établit désormais juste au-dessus de 5 % – un niveau bien inférieur au taux de 6,9 % atteint en 2013, lequel avait poussé la Fed à annoncer une réduction de ses achats d’actifs cette année-là – et dans des circonstances normales, cela serait considéré comme proche du plein emploi.

Un certain nombre de responsables de la Fed ont également exprimé leur inquiétude quant aux risques, pour la stabilité financière, posés par une prise de risque excessive, les investisseurs préférant se tourner vers les actifs plus risqués en quête de rendement. Il semble désormais probable que les mesures de tapering entreront en vigueur en novembre ou en décembre de cette année, l’objectif étant d'y mettre un terme d’ici la fin de l’année 2022.

Les « dot plots » (nuages de points) de la Fed suggèrent que le premier relèvement des taux devrait avoir lieu en 2023, bien que le marché à terme soit légèrement plus agressif et estime qu’il devrait intervenir au second semestre 2022.

Malgré la perspective d’un resserrement de la politique monétaire, les mouvements des rendements des bons du Trésor ont été relativement modérés cette année et nous n’avons en aucun cas connu un nouveau taper tantrum (brutal revirement des marchés) comme en 2013, lorsque les rendements des bons du Trésor à 10 ans avaient signé une hausse d’environ 120 pb, atteignant un pic de 3 % en fin d’année. En l’état actuel des choses, les rendements à 10 ans se situent autour de 1,3 % et sont restés bien en deçà de leur point haut de début d’année (1,75 %).

Plusieurs raisons permettent d’expliquer l’absence de hausse des rendements cette fois-ci, mais le principal facteur est probablement la propagation rapide du variant Delta aux États-Unis et dans certaines régions d’Asie. Cette situation semble déjà avoir un impact sur les données économiques récentes, comme en témoignent le fort recul de la confiance des consommateurs américains et les ventes au détail moins importantes que prévu en Chine. Les observateurs de la Fed seront donc attentifs à tout nouveau signe de détérioration économique ou de recrudescence du virus au cours de l’automne.

Inflation – transitoire ou persistante ?

Les perspectives d’inflation constituent l’autre grand sujet de débat, les avis restant partagés quant à savoir si la récente hausse des prix à la consommation sera transitoire ou revêtira un caractère plus permanent. Je suis d’avis que les moteurs structurels qui ont maintenu l’inflation à un niveau faible pendant de nombreuses années – tels que la démographie, la mondialisation et la technologie – restent d’actualité. Pour autant, je pense que les investisseurs ont raison de se montrer prudents pour la première fois depuis de nombreuses années.

L’inflation américaine dépasse largement l’objectif depuis plusieurs mois, l’IPC étant actuellement supérieur à 5%. Il semble probable que l’inflation restera supérieure à son objectif au moins jusqu’en fin d’année. Les fortes tensions qui règnent sur le marché du travail américain devraient maintenir les pressions haussières sur l’inflation. La Fed devrait donc bientôt atteindre son objectif d’inflation symétrique, ce qui pourrait également inciter les marchés à réclamer une hausse des taux d’intérêt.

Au Royaume-Uni, la Banque d’Angleterre a récemment surpris les marchés en annonçant qu’elle pourrait commencer à réduire le montant de ses achats d’actifs lorsque les taux d’intérêt atteindront 0,5%, au lieu de l’objectif précédent de 1,5%. Par conséquent, le resserrement de la politique monétaire au Royaume-Uni pourrait commencer beaucoup plus tôt que prévu, les marchés tablant sur une première hausse des taux au second semestre 2022. De manière encore plus surprenante, la Banque d’Angleterre a indiqué qu’elle commencerait à revendre des gilts sur le marché une fois que les taux seraient portés à 1 %.

Cela aura évidemment des répercussions sur les marchés des gilts, même si, comme c’est le cas pour les bons du Trésor, les mouvements des rendements ont été relativement modérés, le rendement des gilts à 10 ans se situant actuellement autour de 0,7 %.

En Europe, la BCE a récemment modifié son objectif d’inflation, qui est passé de « inférieur mais proche de 2% » à 2%. Pour l’instant, le discours de la BCE est plutôt confus quant à la question de savoir si cela signifiera un objectif d’inflation moyenne flexible, qui permettrait à une période d’inflation supérieure à l’objectif de compenser une période antérieure d’inflation faible. Certains membres de la BCE ont adopté une posture résolument offensive. Dans l’ensemble, il semble que la BCE ait encore des efforts à faire pour clarifier la stratégie de sa politique monétaire dans le monde de l'après-pandémie.

Crédit – un contexte favorable, mais les valorisations intègrent d’excellentes perspectives

Le contexte est actuellement favorable aux actifs risqués tels que les actions et le crédit, puisque près de 85% des entreprises ont dépassé les estimations lors de la dernière mise à jour des bénéfices. Le faible niveau des rendements des emprunts d’État a également constitué un facteur de soutien, puisqu’il a encouragé les investisseurs en quête de rendement à se tourner vers des actifs plus risqués. Cela a contribué à ramener les spreads de crédit à leur niveau d’avant la crise, aussi bien sur le segment Investment grade que celui du haut rendement.

Si les taux de défaut des entreprises devraient rester très bas dans un contexte de forte croissance économique et de soutien continu des gouvernements, mais nous avons généralement du mal à identifier des opportunités sur le segment du crédit étant donné les niveaux actuels. Nous observons certains signes précoces de détérioration des principales caractéristiques de crédit, comme l’augmentation progressive des ratios dette/bénéfices.

On peut également se demander si les entreprises manufacturières seront en mesure de répercuter pleinement la hausse des coûts, ce qui a des implications évidentes sur les marges bénéficiaires. Par conséquent, si nous estimons qu’il est encore possible d’identifier de la valeur sur le segment du crédit, nous considérons aussi que les investisseurs vont devoir se montrer de plus en plus sélectifs.

Marchés émergents – de multiples difficultés en 2021

Les obligations des marchés émergents ont connu une année 2021 difficile, la classe d’actifs ayant été confrontée à de nombreuses difficultés, notamment l’appréciation du dollar américain, le ralentissement des échanges commerciaux à l’échelle mondiale suite à la pandémie et, plus récemment, la propagation du variant Delta dans certaines régions d’Asie. Il a également fallu faire face à une multitude de problèmes géopolitiques, des émeutes en Afrique du Sud à la montée des tensions politiques entre la Chine et Taïwan. Tout cela a entraîné la chute brutale d’un certain nombre de devises et un élargissement des spreads de crédit sur les émissions libellées en devises fortes.

Il s’agit néanmoins d’un segment de l’univers obligataire où nous pensons qu’il est encore possible d’identifier des opportunités. La classe d’actifs continue d’offrir des rendements réels élevés, tandis que de nombreux pays émergents supportent largement la comparaison avec les pays développés en termes de perspectives de croissance économique à long terme et de ratios dette/PIB. Alors que les marchés émergents sont généralement considérés comme une classe d’actifs homogène, ils abritent en réalité une dispersion importante (les pays possèdent des moteurs de croissance très différents), et nous pensons que cela offre de nombreuses opportunités de valorisation.