Europe : en phase de rémission, mais sa santé reste fragile

Yveslongchamp
Yves Longchamp,

L’Europe a été frappé du même syndrome de la crise financière mondiale que les États-Unis il y a dix ans. Le patient est en phase de rémission, mais sa santé reste fragile, faible et inégale, pour reprendre les mots du Docteur Draghi qui le suit depuis un long moment maintenant.

Un climat particulièrement instable règne actuellement sur les marchés. Tantôt profondément déprimés, tantôt euphoriques, rien ne laisse présager de leurs sautes d’humeur. En tant qu’économiste, je vois les fluctuations des prix de marché (observables en temps réel) comme les symptômes d’une potentielle maladie économique.

Dans un monde au ralenti, caractérisé par une faible croissance, une faible inflation, des taux d’intérêt bas, des rendements bas et, globalement, des performances au plus bas, la frontière entre croissance et récession, inflation et déflation, marchés haussiers et baissiers, est extrêmement ténue. La perception joue un rôle très important dans ce type d’environnement.

Le patient européen est en phase de rémission, mais sa santé reste fragile, faible et inégale, pour reprendre les mots du Docteur Draghi qui le suit depuis un long moment maintenant. Le patient a été frappé du même syndrome de la crise financière mondiale que les États-Unis il y a dix ans et, plus tard, par une forme de trouble gouvernemental mieux connu sous le nom de crise de l’euro. On parle également de dyspraxie politique, une pathologie qui se caractérise par une incapacité à coordonner les mouvements. Les symptômes sont faciles à reconnaître: les actions politiques prises par le patient peuvent sembler maladroites et en décalage par rapport à l’environnement qui prévaut, le patient peine à trouver un équilibre et une posture appropriés.

Le traitement de ces deux maladies a été majoritairement identique à celui administré aux États-Unis. La banque centrale a abaissé les taux d’intérêt et initié un programme d’assouplissement quantitatif. Toutefois, le traitement est arrivé tardivement, ce qui explique, entre autres, pourquoi les marchés du travail restent globalement loin de l’équilibre. D’après ces indicateurs, les économies européennes sont en moins bonne forme que les États-Unis, mais elles se redressent dans l’ensemble et conservent une certaine marge d’amélioration pour l’avenir.

Les indicateurs avancés n’augurent cependant aucune accélération de la reprise de la croissance du PIB. Lorsque l’on observe la croissance de plus près, la reprise européenne, qui n’a vraiment démarré qu’en 2013, après la crise de l’euro, a été modeste par rapport aux États-Unis. L’économie européenne croît en moyenne à un rythme de 1,1 % par trimestre en termes annualisés, deux fois moins environ qu’outre-Atlantique. Alors que les exportations nettes ont apporté une contribution quasi nulle à la croissance du PIB, la consommation privée – le moteur le plus stable et le plus important pour la croissance – explique 0,5 %, l’investissement 0,3 % et les dépenses gouvernementales 0,3 %, d’où une croissance plus équilibrée en zone euro qu’aux États-Unis. En dépit d’un euro faible, les exportations nettes se sont avérées pénalisantes lors des derniers trimestres. S’agissant de la consommation, les premiers indicateurs envoient un signal mitigé.

D’une part, la création nette d’emploi a continué de se renforcer dans la zone euro, de l’autre, la confiance des consommateurs s’est détériorée à l’échelle européenne, avec à la clé une bien timide croissance de la consommation. L’investissement a fait montre d’une surprenante résilience en Europe, en particulier dans les biens d’équipement et les transports. Le crédit privé non financier a même légèrement rebondi en mars, indiquant que la reprise de l’investissement a encore de beaux jours devant elle.

Tout bien considéré, le patient européen semble sur la bonne voie et ne constitue pas, pour l’heure, une source de préoccupation majeure malgré une santé toujours fragile. La principale menace tient au risque d’une rechute de dyspraxie gouvernementale, susceptible de survenir à tout moment au cours des prochains mois. Le Brexit, le Grexit et les élections générales espagnoles, pour ne citer qu’eux, pourraient déclencher une nouvelle crise.