Le Brexit et ses conséquences imprévues

Dans le “Commentaire de Marché” mensuel d’ETHENEA, la Gestion de Portefeuille et son équipe discutent la situation actuelle du marché. Dans cet article, Yves Longchamp, Head of Research, ETHENEA Independent Investors (Schweiz) AG, analyse l’économie mondiale.

Yveslongchamp
Yves Longchamp

Le Brexit génère de nouvelles vagues récessionnistes et déflationnistes dans une économie encore fragile et convalescente.

Le choc provoqué par le Brexit se limite pour l’heure essentiellement à la Grande-Bretagne. L’onde de choc effleure les frontières de l’Europe mais sans être dévastatrice, et le reste du monde est encore épargné. Nous voyons trois vecteurs de contagion potentiels.Financier

Le vecteur financier est de manière générale celui qui réagit le plus à tout type de chocs, et sa portée est désormais mondiale. A ce moment les marchés sont en mode risk-off. Les actions ont plongé, les rendements des emprunts d’État ont atteint de nouveaux plus bas et les devises ont réagi par des mouvements extrêmes. La livre sterling a chuté pour atteindre son plus bas niveau depuis plus de 30 ans face au dollar US, tandis que les devises refuges comme le yen japonais et le franc suisse se sont considérablement appréciées.

Politique

Le chaos politique qui règne actuellement au Royaume-Uni est de caractère éphémère. La question fondamentale reste de savoir si l’article 50 sera activé ou non, ce qui déclencherait, le cas échéant, le compte à rebours pour le retrait du Royaume-Uni de l’Union européenne. Le risque de désintégration européenne ne s’est pas matérialisé au lendemain du vote. Certes, le risque politique en Europe demeure l’une de nos préoccupations majeures, même si nous saluons cette unité soudainement retrouvée des 27 États membres (sans compter la Grande-Bretagne).

Economique (croissance, inflation)

  •  Le Brexit touche le Royaume-Uni de front, à commencer par le moteur du pays, Londres. Les investissements (dépenses d’investissement et investissements directs étrangers) et l’immobilier (construction et prix des logements) ont été frappés aussitôt que le résultat du vote a été connu. Une récession semble l’issue la plus probable.

    L’impact sur l’activité européenne, certes négatif, est plus difficile à estimer. Selon les économistes, la croissance pourrait se voir rabotée d’un demi-point de pourcentage et devrait atteindre 1 % pour la zone euro au cours des prochains trimestres. Si cette prévision se confirme, la création d’emploi ralentirait, tout comme la consommation privée. Si la récession est le prix à payer pour la liberté, les élections présidentielles françaises et les élections fédérales allemandes prévues l’année prochaine pourraient mener à des résultats pro-establishment : toute récession générée par des causes politiques couperait l’herbe sous le pied des partis indépendantistes et/ou populistes.

  •  Le Brexit produit des effets déflationnistes, même si paradoxalement, la faiblesse de la livre sterling devrait pousser l’inflation à la hausse au Royaume-Uni dans les prochains mois. Face à ces perspectives économiques assombries, la probabilité est grande que la Banque d’Angleterre diminue ses taux voire qu’elle relance son programme d’assouplissement quantitatif si la situation venait à se détériorer davantage que prévu.

    En Europe, les perspectives d’inflation pourraient être revues à la baisse. Pour une banque centrale comme la BCE, qui a fait de l’inflation une préoccupation majeure, ceci peut avoir des conséquences directes, et notamment une possible extension du QE.

    Impact pour les Etats-Unis et la Chine

    Aux États-Unis, l’activité se trouve en fin de cycle. Nous anticipons un ralentissement progressif de la croissance dans les prochains mois et le Brexit ne devrait pas affecter outre mesure la première économie mondiale, sauf s’il entraîne une très forte appréciation du dollar américain. Le marché du travail est resté globalement dynamique, malgré certains signes de faiblesse.

    Si l’investissement accuse depuis peu une baisse de régime, l’indice ISM du secteur manufacturier pour le mois de juin a réservé une bonne surprise en confirmant une tendance haussière sur plusieurs mois. En cas de poursuite de ce mini-cycle, le cycle américain pourrait durer plus longtemps.

    Dans le sillage du vote sur le Brexit, nous avons modifié notre scénario en matière de taux d’intérêt pour 2016, ne tablant plus que sur une hausse tout au plus, voire pas de hausse du tout. La Fed, comme n’importe quelle autre banque centrale, devra attendre au moins un ou deux mois avant d’obtenir les premières statistiques économiques reflétant l’impact du Brexit. Enfin, les dernières évolutions en Chine ont eu des effets modérés. Les importantes mesures de relance budgétaire et du crédit qui avaient miraculeusement permis d’éviter la phase baissière du début de l’année montrent des signes de fatigue.

    Parallèlement, l’endettement continue d’augmenter tandis que la croissance tendancielle ne cesse de ralentir. La Chine demeure un risque majeur dans notre scénario. Il est intéressant de noter qu’à la suite du Brexit le renminbi s’est déprécié face au dollar américain, ce qui nous conforte dans l’idée que le billet vert s’établit à un niveau trop élevé pour une grande partie de l’économie mondiale. Pour résumer, le Brexit a assombri le scénario macroéconomique. En Europe, le principal risque tient à des évolutions politiques défavorables, qui peuvent survenir à tout moment, comme nous l’a brutalement rappelé le Brexit.

    Aux États-Unis, un ralentissement plus marqué de l’activité au sein de l’économie la plus dynamique du monde serait particulièrement pénalisant pour l’économie mondiale. La situation en Chine ne s’est quant à elle guère améliorée sur fond de diminution de la croissance tendancielle et d’endettement accru. Dans l’ensemble, les trois indicateurs globaux que nous suivons n’ont pas changé d’orientation.

    Premièrement, la production manufacturière mondiale a continué de se tasser, comme en témoigne la baisse de l’indice PMI global du secteur manufacturier à 50, un niveau dont il est admis qu’il reflète une stagnation. Deuxièmement, les prix (matières premières et secteur manufacturier) n’ont pas augmenté de manière décisive. Et troisièmement, la vigueur du dollar américain ne s’est pas démentie. Nous restons donc prudents dans ce contexte.