L’énigme de la Fed

Yveslongchamp
Yves Longchamp

Dans le “Commentaire de Marché” mensuel d’ETHENEA, la Gestion de Portefeuille et son équipe discutent la situation actuelle du marché. Dans cet article, Yves Longchamp, Head of Research chez ETHENEA Independent Investors (Schweiz) AG, analyse l’économie américaine.

C’est reparti pour un tour. Dans son allocution prononcée lors de la réunion qui a réuni les banquiers centraux à Jackson Hole, Janet Yellen a une nouvelle fois évoqué la possibilité d’un relèvement des taux lors de la prochaine réunion de la Fed, en septembre. Il s’agit maintenant de la quatrième fois qu’elle promet de relever les taux, après deux échecs et un relèvement réel en décembre 2015. La probabilité d’un relèvement lors de la prochaine réunion qui se tiendra le 21 septembre est légèrement inférieure à 40 %, soit un chiffre comparable à celui qui avait été intégré par le marché avant qu’il ne subisse de grosses déceptions.

Les acteurs du marché sont-ils peu doués pour anticiper les relèvements des taux ou est-ce la communication de la Fed, également connue sous le nom de forward guidance (ou orientations prospectives), qui est défaillante ? Si cette question rhétorique contient certainement une part de vérité, c’est essentiellement parce que les plus de 19.000 employés de la Fed ne savent tout simplement pas quoi faire.

Est-ce le moment pour la Fed de relever ses taux pour la deuxième fois au cours de ce cycle? En toute honnêteté :  Oui à un autre relèvement car les conditions qui règnent actuellement sont présentes depuis des années.

 Non à un second relèvement néanmoins car le recul du taux de chômage a déjà atteint son plus haut.

Par le passé, la Fed a suspendu son relèvement lorsque le rythme du recul du taux de chômage avait atteint son sommet. Le rythme du recul est mesuré grâce au changement cumulé des taux de chômage sur une période de 12 mois. Selon cette mesure, il est déjà trop tard pour procéder à un second relèvement car, si l’on en croit les données historiques, il aurait déjà dû y avoir une baisse des taux. La première baisse a généralement lieu dans les 12 mois qui suivent le taux de chômage le plus bas. La Fed est donc prise entre le marteau et l’enclume et son indécision se reflète dans ses discours peu cohérents, ce qui génère une volatilité excessive au niveau des attentes des investisseurs. Est-ce le moment pour la Fed de relever ses taux pour la deuxième fois au cours de ce cycle ? Certainement, selon nous, dans la mesure où les États-Unis, et plus généralement

l’économie mondiale, bénéficient d’un environnement favorable. Mais ne nous demandez pas quand ce relèvement aura lieu, si tant est qu’il ait lieu un jour.

Le cycle économique américain en fin de cycle La baisse du rythme de recul du taux de chômage rejoint notre scénario selon lequel l’économie américaine se trouve en fin de cycle, qui se définit selon nous par une période de ralentissement de la croissance et d’accélération de l’inflation. Prenons quelques chiffres pour illustrer nos propos : la croissance du PIB est ainsi passée de 3,6 % (en glissement trimestriel, taux cvs annualisé) au deuxième trimestre 2015 à 1,1 % au deuxième trimestre 2016 et les créations d’emploi, telles que mesurées par les statistiques sur l’emploi non agricole, sont passées de 250.000 par mois en moyenne au deuxième trimestre 2015 à 150.000 sur la même période en 2016.

Si l’on jette un oeil à l’évolution des prix sur ces mêmes périodes, on voit que l’image est parfaitement inversée. L’inflation sous-jacente s’est inscrite en légère hausse, à 1,6 % contre 1,4 % un an auparavant, et le salaire horaire a grimpé à 2,6 %, contre 2 % un an plus tôt. Le graphique 11 présente trois statistiques salariales suivies de près par les économistes et par la Fed. Elles témoignent d’une accélération progressive de l’inflation des salaires. Si, intuitivement, ralentissement de la croissance et accélération de l’inflation peuvent sembler contradictoires, la théorie économique nous apprend qu’il en va tout autrement. En fin de cycle, le chômage est faible et les sociétés ont plus de difficultés à recruter de nouveaux travailleurs sans augmenter les salaires. Par conséquent, la base de coûts augmente, entraînant l’inflation par la suite. Aux États-Unis, l’inflation sous-jacente devrait augmenter progressivement au cours des prochains trimestres tandis que l’inflation globale devrait croître plus rapidement dans la mesure où l’effet de base négatif dû à la vigueur du dollar et à la faiblesse des prix pétroliers est en train de se dissiper.

S’agissant de la croissance, la consommation reste le principal moteur du cycle américain. Au cours du dernier trimestre, la croissance est uniquement venue de la consommation, tandis que la composante non-consommation s’est contractée, une situation plutôt inhabituelle. Les derniers indicateurs de consommation suggèrent que cette composante clé s’est montrée solide. La confiance des consommateurs est élevée et les ventes au détail ont continué à s’inscrire en hausse. Par ailleurs, les statistiques mensuelles sur les dépenses des ménages, qui sont utilisées pour estimer le PIB, ont été solides, ce qui laisse à penser que la croissance du PIB au troisième trimestre devrait s’inscrire en hausse. Selon notre modèle économétrique, le PIB devrait augmenter de 3,6 %. Notre indicateur ETHENEA de pouvoir d’achat ajusté de la volonté, qui tient compte de plusieurs dimensions de la fonction de consommation (telles que les salaires, la confiance des consommateurs, la dynamique du marché de l’emploi et le crédit à la consommation), suggère toutefois que le développement de la consommation connaîtra une certaine modération, même si son rythme demeurera soutenu.

Les investissements en biens d’équipement sont la pièce manquante au cours de ce cycle. Ils ne se sont jamais totalement redressés dans la mesure où l’activité manufacturière est restée modérée dans le sillage de la crise financière mondiale et où la chute des prix pétroliers a mis fin au cycle des dépenses d’investissement dans le pétrole de schiste. Si les derniers indices manufacturiers laissaient entrevoir le début d’un mini- cycle aux États-Unis, celui-ci ne s’est malheureusement pas concrétisé au niveau des données statistiques. La production manufacturière industrielle outre-Atlantique et le commerce mondial sont restés stables et la reprise de l’indice ISM manufacturier s’est brutalement arrêtée en août. Les commandes de biens durables hors composantes les plus volatiles s’inscrivent toujours en baisse, indiquant qu’il n’est pas encore question de reprise des investissements. Le début d’un nouveau cycle d’investissement serait une excellente nouvelle, car il marquerait le retour de la confiance en l’avenir.

L’économie américaine se trouve en fin de cycle, avec un ralentissement progressif de la croissance et une accélération de l’inflation, et ce même si la consommation, pilier de la reprise outre-Atlantique, devrait être particulièrement solide au troisième trimestre. L’investissement accuse une baisse de régime et aucun mini-cycle ne s’est concrétisé au niveau de l’activité manufacturière.