2017: fin de cycle conjoncturel et voile d’incertitude

Tous les cycles conjoncturels débutent et se terminent par une récession. Si l’économie se trouve manifestement en fin de cycle, notre scénario privilégié pour 2017 n’est pas pour autant celui d’une récession. D’après nous, la croissance restera modeste et empruntera le chemin d’un ralentissement graduel cette année.

La présidente de la Fed Janet Yellen a bien résumé l’impact de la politique économique de Donald Trump sur les États-Unis lors de sa conférence de presse du mois de décembre. « […] nous sommes confrontés à un voile d’incertitude en ce moment mais nous pouvons nous permettre d’attendre pour voir quels changements interviendront et en tenir compte dans les décisions que nous prendrons à mesure que la visibilité s’améliorera. [...] Je considère donc les fluctuations des marchés comme des prévisions implicites sur l’impact que ces politiques auront probablement sur l’économie. »

Le voile d’incertitude résulte essentiellement de deux éléments : l’ampleur de la relance budgétaire et de la réforme fiscale et la rapidité avec laquelle ces dernières seront mises en œuvre. Si l’on considère l’évolution des cours depuis l’élection de Donald Trump comme un indicateur avancé de l’impact de ses politiques, il faut en déduire que les acteurs de marché s’attendent manifestement à ce qu’elles soient ambitieuses, salutaires et rapidement mises en oeuvre. Pour notre part, nous sommes plus circonspects. Premièrement, il faudra du temps pour mettre en œuvre un tel programme. Ensuite, ce bel enthousiasme ne reflète pas certaines évolutions moins favorables aux marchés telles que le sort réservé aux accords commerciaux et aux relations entre les États-Unis et la Chine.

L’inflation, cette grande inconnue...

Une fin de cycle s’accompagne généralement d’une inflation plus forte et d’un resserrement progressif de la politique monétaire. L’inflation remonte et devrait poursuivre sur cette voie au premier trimestre 2017. L’impact du rebond durable des cours du pétrole observé l’an dernier se fera progressivement sentir sur les prix à la consommation. Néanmoins, l’inflation est une demoiselle très sophistiquée dont le comportement est difficile à saisir. C’est d’ailleurs la principale raison qui a amené les banques centrales à inventer la notion d’inflation sousjacente, qui ne tient pas compte des prix des carburants et de l’alimentation car ces derniers sont volatils et évoluent selon leur propre logique. À en juger par cet indicateur, le risque de dérapage de l’inflation est limité.

La Banque centrale européenne (BCE) et la Réserve fédérale américaine tablent respectivement sur des niveaux d’inflation de 1,7 % et 2 % en 2019. Il n’y a donc aucune raison dans l’immédiat de rompre avec la politique monétaire ultraaccommodante qui est le lot quotidien des marchés de capitaux depuis près de dix ans. Nous estimons néanmoins que l’inflation est l’un des facteurs susceptibles de changer la donne si elle devait s’accentuer à mesure que le dollar américain faiblit ou que les salaires augmentent. L’inflation est un processus puissant mais lent. Par conséquent, nous suivrons très attentivement l’évolution de l’inflation, d’autant que les prévisions des banques centrales à cet égard, à l’instar des tables des marées, ne tiennent pas compte de la direction ni de la force du vent.

Normalisation de la politique monétaire

S’agissant de l’inflation, le changement de ton des banques centrales est frappant : le terme déflation a disparu de leur vocabulaire alors que le terme inflation refait discrètement son apparition. Ce changement marque potentiellement le début de la fin des politiques monétaires ultra-accommodantes, caractérisées par des taux d’intérêt dérisoires et des injections de liquidités. À l’exception du Japon, la normalisation de la politique monétaire vient peut-être de commencer timidement. Le rythme de cette normalisation dépendra du ralentissement de la croissance et de l’accélération de l’inflation.

Dans la mesure où l’économie américaine a une longueur d’avance dans ce cycle conjoncturel et où la Fed est la seule banque centrale à avoir relevé ses taux, c’est cette dernière qui donnera la cadence. La Fed est en effet la seule banque centrale en mesure de relever ses taux l’an prochain. De leur côté, la Banque du Japon poursuit son assouplissement quantitatif à plein régime, la BCE a annoncé qu’elle continuerait à gonfler son bilan au moins jusqu’en décembre 2017 et la Banque nationale suisse est obligée de maintenir des taux d’intérêt dissuasifs pour empêcher l’appréciation de sa monnaie. Enfin, la politique de la banque d’Angleterre dépendra de l’issue des négociations sur les modalités du Brexit.

Un agenda politique et géopolitique chargé

Il va sans dire qu’en ce qui concerne l’agenda géopolitique mondial, les États-Unis souffleront également le chaud et le froid, notamment en ce qui concerne leurs relations avec la Chine et la Russie, ainsi que l’avenir des accords commerciaux internationaux. En Europe, le probable coup d’envoi du Brexit en mars risque de faire quelques vagues dans les eaux peu profondes de la Manche. Par la suite, les élections en France et en Allemagne pourraient également apporter leur lot de hauts et de bas. Nous avons plutôt bon espoir que ni l’une ni l’autre de ces élections ne se solderont par une nouvelle victoire des mouvements populistes.

Risque bipolaire : dollar US fort et hausse des rendements obligataires

Le billet vert a le vent en poupe et s’est apprécié dans le sillage de la dernière réunion de la Fed. Cela nous conforte dans l’idée qu’il n’est pas excessivement fort au regard de l’économie américaine mais surévalué par rapport au reste du monde, en particulier pour les économies qui y ont arrimé leur monnaie. Nous estimons par ailleurs que la hausse des rendements obligataires aux États-Unis constitue un risque potentiel pour la zone euro. Un dollar fort pèse sur le compte des opérations financières des pays dont la monnaie est arrimée au dollar. Le compte des opérations financières est le volet de la balance des paiements qui enregistre les transactions financières internationales tandis que la balance courante enregistre les flux internationaux de biens et de services.

 L’évolution de la balance des paiements de la Chine illustre parfaitement cette dégradation. La balance courante de la Chine est excédentaire et stable depuis des années, signe que le pays enregistre un excédent commercial – ses exportations sont supérieures à ses importations – malgré un environnement macro-économique difficile. En revanche, son compte des opérations financières est dans le rouge depuis plusieurs années, ce qui reflète les sorties de capitaux substantielles qui ont fait fondre ses réserves de change, un déclin lié à une appréciation du dollar américain (USD) et/ou à une dépréciation du yuan chinois (CNY).

Le renchérissement du billet vert incite les Chinois à convertir leur épargne en dollars, une monnaie forte considérée comme valeur refuge. L’érosion des réserves de change entraîne finalement un ajustement brutal de la devise si les sorties de capitaux ne sont pas enrayées, un risque qui, s’il se concrétise, pourrait s’avérer dramatique pour le système monétaire international.

Des pays comme l’Italie risquent de faire les frais d’une poussée des taux. L’Italie affiche en effet un ratio dette totale/PIB (y compris les engagements financiers) de pas moins de 160 %, contre environ 114 % pour les États-Unis et, sur les cinq dernières années, le taux de croissance nominal moyen est ressorti à 1,7 % en Italie contre 4 % aux États-Unis. Ces chiffres suggèrent que les rendements obligataires peuvent atteindre 1,7 % en Italie et 4 % aux États-Unis sans remettre en cause la viabilité de la dette dans ces pays, pour peu que leur déficit budgétaire soit raisonnable.

En règle générale, nous prenons le rendement à 10 ans comme baromètre du taux auquel un pays peut emprunter pour refinancer sa dette. Or le rendement se situe actuellement à 1,8 % en Italie, soit légèrement au-dessus de la limite, tandis qu’aux États-Unis il avoisine 2,5 %, bien loin du taux de croissance nominal plancher. Par conséquent, la hausse des rendements aux États-Unis pourrait bien occasionner des dommages collatéraux à la périphérie de la zone euro, où la croissance nominale est restée faible et la dette élevée.

 La zone euro n’a guère réalisé de progrès politiques depuis la crise de l’euro : il n’y a pas eu d’union budgétaire ni de réformes structurelles. Du moins, leur mise en œuvre prend trop de temps à l’heure actuelle. La survie de la zone euro dépend toujours de la BCE, qui a baissé drastiquement ses taux directeurs et pesé sur les rendements obligataires toutes échéances et tous pays confondus. La normalisation de la politique monétaire aux États-Unis et, dans le courant de l’année, la probable évocation d’un tapering de la BCE – en d’autres termes la fin de l’assouplissement quantitatif – pourraient bien poser la question de la viabilité de la zone euro.

Risques orientés à la baisse

Notre scénario privilégié table sur un ralentissement graduel de la croissance et une légère remontée de l’inflation, ce qui est en soi relativement rassurant. Toutefois, les risques liés à ce scenario restent orientés à la baisse. Nous restons particulièrement vigilants face à la possibilité d’une nouvelle appréciation du dollar américain compte tenu de ses effets négatifs sur la Chine, ainsi que d’une hausse des rendements obligataires au vu de son impact négatif sur la zone euro. Sur le front géopolitique, Donald Trump demeure imprévisible et pourrait bien causer de sérieuses turbulences sur les marchés. Enfin, l’agenda politique chargé en Europe sera certainement une source de volatilité.

L’édition annuelle de notre carte marine de l’économie est mise à jour régulièrement car les conditions météorologiques peuvent changer rapidement en haute mer.