Investissement dans les actifs non cotés: atouts et difficultés

Nous avons rencontré Pierre Stadler, Head of Thematic Private Equity chez Pictet Alternative Advisors, pour évoquer les points forts de l’investissement dans les sociétés non cotées et ce que l’avenir réserve à cette classe d’actifs.

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Pierre Stadler, Head of Thematic Private Equity chez Pictet Alternative Advisors

La présente édition du « Pictet Report » en témoigne: il y a bien des avantages à ne pas coter sa société en bourse. Plus de liberté pour lancer des initiatives stratégiques essentielles et faire avancer l’entreprise, par exemple. Les investisseurs en private equity sont aussi plus proches des entrepreneurs; souvent, ils constituent une source plus sûre de capitaux à long terme et savent prodiguer des conseils stratégiques.

Ces éléments sont également pertinents du point de vue des investisseurs dans cette classe d’actifs et, comme nous le verrons, les raisons de s’intéresser aux marchés non cotés ne manquent pas.

Pour Pierre Stadler, l’un des principaux atouts du private equity et des marchés non cotés est l’exposition à l’économie réelle. « Il ne s’agit pas d’acheter du papier sur un écran, mais d’investir dans des entreprises, d’en être le propriétaire », souligne-t-il. Il existe aussi une plus forte convergence des intérêts : l’investisseur « n’est pas un gérant qui s’occupe de l’entreprise au nom des actionnaires, mais bien un propriétaire qui en prend soin ». L’implication des équipes dirigeantes et des fondateurs est d’ailleurs souvent plus grande dans le private equity que dans les entreprises cotées et la création de valeur opérationnelle fondamentale porte ses fruits sur plusieurs années.

En outre, si leur fonctionnement est (sans surprise) moins connu du grand public, il est suivi «de très près» par les investisseurs en private equity, souligne-t-il. Il y a souvent plus de rigueur, ce qui s’explique par le fait que la réglementation applicable aux sociétés cotées les empêche de donner certaines informations à certains investisseurs. « Elles font généralement très attention aux éléments qu’elles fournissent parce que cela peut influencer le cours de bourse, ce qui n’est pas le cas des entreprises non cotées », explique-t-il. Même si cela peut sembler contre-intuitif, les sociétés non cotées peuvent donc se permettre plus de transparence envers leurs propriétaires que leurs homologues cotées.

De son côté, le venture capital permet aux investisseurs de saisir des innovations dès la naissance d’une entreprise ou d’un secteur, notamment dans la biotechnologie et les softwares (logiciels), alors que les marchés cotés veulent, par essence, des sociétés plus matures.

Moyennes, petites ou minuscules : toutes ces entreprises (qui représentent tout de même 99% des sociétés dans le monde) sont uniquement accessibles par le biais des marchés hors cote.

Dernier atout phare du non-coté: la possibilité d’avoir un horizon à long terme. Alors que les entreprises cotées sont obligées de privilégier les résultats trimestriels et qu’elles sont tributaires du sentiment du marché à court terme, les propriétaires et les gérants de sociétés non cotées peuvent travailler sur un temps plus long et adopter des stratégies qui s’inscrivent dans la durée. Pour les investisseurs capables de supporter une période d’illiquidité importante, ce n’est pas négligeable.

Le court-termisme excessif est d’ailleurs l’un des principaux écueils qui guettent les investisseurs en private equity, selon Pierre Sadler. Il y a beaucoup de dilettantes, des gens qui « s’intéressent à cette classe d’actifs quand tout va bien, s’en vont, puis reviennent ».

Pourtant, historiquement, les meilleurs millésimes sont les années de collecte anémique et de décrochage des marchés cotés. Pour compenser la surexposition aux cycles de cette classe d’actifs à long terme, il est donc indispensable de rester investi, année après année.

Comme toujours quand il s’agit d’investir dans la durée, il faut trouver les bons partenaires. « Il n’est pas rare d’entendre que le private equity dure plus longtemps que le mariage moyen », sourit-il. S’engager dans un fonds, c’est généralement le faire pour plus de dix ans. « Il faut donc vraiment bien choisir ses partenaires et s’assurer que les personnes avec qui vous investissez à long terme sont fiables. » A titre d’exemple, Pictet s’est lancé dans le private equity en 1989: le Groupe a donc noué, au fil des décennies, des relations solides avec de nombreux gérants.

La technologie et la santé constituent deux thèmes intéressants. Dans le premier, Pierre Stadler et ses collègues axent leurs recherches sur cinq domaines: les softwares d’entreprise, la fintech (autrement la technologie financière), la cybersécurité, l’Internet de la consommation, et l’« industrie 4.0 ». Les institutions financières possèdent souvent beaucoup de connaissances, en interne, sur les deux premiers. Puis viennent l’Internet de la consommation (les « market places » et le e-commerce) et l’industrie 4.0, c’est-à-dire tout ce qui touche à la logistique et à l’intégration de la technologie, à l’approvisionnement et aux procédés industriels. Restent les softwares d’entreprise, domaine capital où résident, selon Pierre Stadler, « environ 80% des opportunités » technologiques.

L’autre thème est celui de la santé. Plusieurs tendances de fond le transforment et le rendent passionnant. Tout le monde a entendu parler de l’évolution démographique et du vieillissement de la population. Mais pour lui, les choses vont bien plus loin. « Il ne s’agit pas seulement d’avoir plus de gens à traiter et dont il faudra prendre soin plus longtemps, » souligne-t-il. « Il y a aussi une question de qualité des soins et de volonté de vivre plus longtemps en meilleure santé. » Ce constat élargit le champ des possibles : prestataires de soins, bien sûr, mais aussi spécialistes du suivi des patients et de leurs nouveaux besoins.

Pierre Stadler évoque ainsi le terme d’« expérience patient », quasi inexistant il y a 15 ou 20 ans. Or, aujourd’hui, les prestataires de soins ne peuvent plus ignorer les attentes des patients, qui exigent désormais d’être mieux informés. « Les gens veulent du confort et de la transparence, explique-t-il. Et cela compte de plus en plus : des conseils pertinents, des informations utiles et des analyses détaillées sur leur santé. »

Comme ailleurs, ces demandes se traduisent par une numérisation accrue, autre tendance macroéconomique qui a mis du temps à s’imposer dans la santé, mais monte désormais en puissance. Beaucoup de nouvelles opportunités d’investissement devraient découler de l’intégration des outils numériques aux soins et à la façon d’en parler.

Certaines spécificités du secteur le rendent également intéressant. L’innovation vient souvent de petites sociétés, voire de start-up liées à des laboratoires universitaires, et rarement de la big pharma.

Les géants pharmaceutiques, eux, cherchent plutôt à mettre la main sur ces innovations en rachetant leurs créateurs : les fusions-acquisitions se portent donc très bien. Et, comme le souligne Pierre Stadler, les grandes entreprises ont des bilans solides avec des positions en liquidités conséquentes. L’activité des fusions-acquisitions devrait donc se poursuivre, même en période de plus forte volatilité. « Pour des investisseurs, capturer cette innovation requiert donc d’investir dans des sociétés privées», conclut-il.

Pour l’avenir, il note deux domaines prometteurs. Le « web 3.0 », d’abord, terme qui désigne un Internet décentralisé et très dépendant de la technologie de la blockchain. Pour le moment, il s’agit d’entrer dans ces segments lorsque les avancées technologiques deviennent « investissables ». Comme toujours, le timing joue un rôle central. « Il ne faut pas être trop en avance, mais ne pas rater le coche non plus », résume-t-il. Une chose est sûre: Pictet n’investit pas dans les entreprises qui font les gros titres pour le plaisir de le faire. « Nous aimons investir dans des entreprises qui fournissent une technologie indispensable aux sociétés plus en vue, explique-t-il. Souvent, nous investissons dans des sociétés moins connues, mais dotées de fondamentaux solides. »

Pierre Stadler et son équipe suivent aussi le secteur de l’environnement, autre thème émergent intéressant. « C’est sans conteste un thème où nous verrons surgir de plus en plus d’opportunités », affirme-t-il. Communauté financière et grand public semblent enfin intégrer le “capital naturel” aux décisions d’investissement et d’achat. » Les entreprises qui tiennent compte de l’aspect environnemental dans leurs procédés, leurs produits et leurs services pourraient donc, à l’avenir, bénéficier d’une prime de valorisation. Cerise sur le gâteau: les points de convergence entre santé, technologie et environnement sont très nombreux.