Euro fort, marge de manœuvre limitée : pourquoi la BCE reste en retrait

Jörg Held, responsable de la gestion de portefeuille, ETHENEA Independent Investors S.A.

Un euro fort pèse sur les exportateurs allemands. Depuis la dernière réunion de la BCE le 5 juin, la monnaie unique s’est appréciée de près de 2 % face aux principales devises – un mouvement apparemment technique, mais aux conséquences économiques bien réelles. Pour les exportateurs allemands, cela représente un frein mesurable sur les résultats : plusieurs entreprises du DAX, comme SAP et Porsche, anticipent des impacts négatifs significatifs, se chiffrant en milliards d’euros, liés aux effets de change. De leur côté, des constructeurs automobiles comme BMW et VW n’ont pu les compenser que par de faibles hausses des volumes de ventes.

Pour les entreprises tournées vers l’export, un euro plus fort entraîne une perte de compétitivité et une pression accrue sur les marges – tout en ayant un effet désinflationniste, ce qui devrait dissuader la BCE de poursuivre les baisses de taux.

Pour la prochaine réunion de la BCE, prévue le 24 juillet, les marchés – et nous également – n’anticipons aucune modification des taux directeurs. La baisse de 25 points de base en juin devrait probablement rester la dernière de ce cycle. Toute nouvelle mesure d’ici fin 2025 devrait être marginale. À ce stade, nous n’entrevoyons qu’un ajustement supplémentaire mineur.

Pourquoi une pause est-elle attendue ?

Malgré les difficultés rencontrées par les exportateurs, la BCE a trois raisons majeures d’adopter une posture attentiste :

- Effet désinflationniste : La force de l’euro réduit l’inflation importée et pourrait nettement faire baisser les prévisions d’inflation pour 2026 – avec des répercussions possibles jusqu’en 2027.
- Reconstitution des marges : Selon les comptes rendus de la réunion de juin, la banque centrale a souligné que de nombreuses entreprises profitent d’un euro fort pour restaurer leurs marges, au lieu de transmettre les gains de change aux consommateurs.
- Inflation dans les services : La pression inflationniste persistante dans le secteur des services continue de justifier la prudence actuelle de la BCE.

Par ailleurs, le président Trump a menacé d’imposer, à compter du 1er août, un droit de douane de 30 % sur les importations en provenance de l’UE. Si cette menace se concrétise, elle affecterait particulièrement les exportateurs allemands, notamment dans les secteurs automobile et de l’ingénierie mécanique. Cela pourrait générer une pression désinflationniste supplémentaire en raison d’un recul brutal de la demande.

Il reste toutefois encore quelques semaines pour finaliser un éventuel accord commercial entre l’UE et les États-Unis. La BCE devrait attendre l’issue de ces négociations avant de réévaluer la situation en septembre.

Quelles implications pour les rendements obligataires ?

Les rendements des obligations d’État ont légèrement progressé. La baisse de taux de juin ayant déjà été intégrée par les marchés, et aucune nouvelle mesure n’étant attendue en juillet, les rendements à long terme devraient rester proches de leurs niveaux actuels à court terme.

Si la reprise économique se renforce plus tard cette année – par exemple via une reprise de la consommation ou des signaux de soutien à la croissance émanant des États-Unis – une tendance haussière des taux d'intérêt à long terme pourrait émerger.

Patience de rigueur

Conformément aux prévisions de la BCE, nous anticipons un retour de l’inflation sous les 2 % dans la zone euro l’année prochaine. Toutefois, pour de nombreux exportateurs, l’euro fort restera un vent contraire – un frein sur les bénéfices qu’aucune décision de taux ne pourra atténuer à court terme.