Ron Temple, Chief Market Strategist chez Lazard
Au cours des six premiers mois de son second mandat, le président Donald Trump a tenu ses promesses électorales en apportant des changements majeurs à la politique intérieure et extérieure des États-Unis, avec des répercussions à l’échelle mondiale. Jusqu’à présent, les principaux indicateurs macroéconomiques et de résultats ne donnent qu’un premier aperçu de l’impact de ces changements de politique, mais dans les mois à venir, les effets sur l’inflation, l’emploi, la croissance économique et les bénéfices des entreprises deviendront plus clairs.
2. La Chine en est à sa cinquième année de crise immobilière. Sans un important plan de relance budgétaire, la croissance risque de continuer à ralentir et la déflation de s’installer durablement, avec à la clé des risques systémiques à long terme. Je considère que la probabilité d’une intervention décisive du gouvernement chinois est faible.
3. La zone euro semblait, en 2025, en bonne voie pour une accélération de la croissance, mais à court terme, elle souffre des changements apportés à la politique commerciale américaine. Point positif, la nouvelle politique de sécurité des États-Unis a conduit à un tournant budgétaire en Allemagne, tandis que la BCE a nettement assoupli sa politique monétaire.
4. Au Japon, l’inflation reste supérieure à l’objectif de 2 % depuis près de quatre ans, ouvrant la voie à une normalisation monétaire progressive. Parallèlement, nous constatons que les entreprises adaptent de plus en plus leurs choix stratégiques aux récentes réformes ainsi qu’à une politique de rachat plus favorable aux actionnaires.
5. Enfin, nous prévoyons une plus grande volatilité mondiale au second semestre. Les gouvernements des marchés développés devront encore davantage emprunter, ce qui pourrait continuer à faire grimper les taux d’intérêt. Les valorisations boursières, en particulier aux États-Unis, seront ainsi plus difficiles à justifier.
L’économie américaine restait résiliente au début de l’année 2025, mais la politique menée par le président Trump assombrit les perspectives. Depuis janvier, les droits de douane moyens ont grimpé jusqu’à près de 19 %, et de nouveaux tarifs sont attendus. Nous anticipons que cela entraînera structurellement une inflation plus élevée. En conséquence, les revenus réels baisseront, avec des effets négatifs sur le PIB, l’emploi et la consommation. En raison de la forte inflation et des expulsions massives de travailleurs, nous prévoyons également une pression accrue sur les salaires. Nous anticipons une hausse des taux d’intérêt jusqu’à 4 % d’ici la fin 2025 et un ralentissement de la croissance du PIB à 1,5 %, avec un déficit budgétaire en augmentation. D’autres gouvernements des marchés développés devraient également laisser filer leurs déficits, ce qui augmentera la demande de capitaux sur les marchés obligataires.
En Chine, la confiance des consommateurs reste à un niveau historiquement bas alors que la crise immobilière dure depuis cinq ans. Comme le ménage chinois moyen a investi environ 60 % de son patrimoine dans l’immobilier résidentiel, la baisse des prix est dévastatrice et a conduit à une augmentation de l’épargne, ce qui favorise la déflation. Sans réformes structurelles pour stimuler la consommation – qui se font attendre – nous restons négatifs quant aux perspectives économiques de la Chine. Nous prévoyons une croissance ralentie et constatons un retrait progressif des investisseurs étrangers. Il existe toutefois des signes possibles de stabilisation. Lors des négociations commerciales avec les États-Unis, la Chine semble aussi bénéficier d’un avantage, car les États-Unis dépendent d’une large gamme de produits uniquement fabriqués en Chine.
Dans la zone euro, c’est surtout le changement de cap en Allemagne qui retient l’attention. Le gouvernement Merz a annoncé 1 000 milliards d’euros de dépenses supplémentaires, axées sur la défense et les infrastructures. Combinées à l’initiative ReArm Europe, ces mesures pourraient faire augmenter de manière importante les dépenses militaires européennes. Si ces dépenses sont consacrées à l’innovation et aux capacités technologiques, elles pourront soutenir d’autres formes de progrès économique. Parallèlement, la BCE a déjà réduit ses taux de 200 points de base, et nous anticipons encore une baisse cette année. Nous attendons à ce que la croissance économique en Europe se poursuive au moins jusqu’en 2026.
L’économie japonaise est peut-être aussi à un tournant. L’inflation s’est normalisée au cours des quatre dernières années, ce qui a conduit à un changement important dans la psychologie des consommateurs. Les réformes de la gouvernance d’entreprise et des règles de rachat ont obligé les entreprises à placer les actionnaires parmi leurs principales priorités. Les ménages japonais investissent davantage en actions. Cela pourrait bien marquer le début d’une amélioration durable pour les entreprises japonaises et leurs investisseurs.
Enfin, sur la scène mondiale, les tensions géopolitiques continuent de s’intensifier, notamment autour des conflits entre la Russie et l’Ukraine, et entre Israël et la Palestine, qui pourraient vite s’envenimer. Sous la pression de Washington, les pays de l’OTAN ont augmenté considérablement leurs dépenses de défense, avec un objectif de 5 % du PIB. Si ces dépenses accrues soutiennent potentiellement la croissance, elles risquent aussi d’alourdir la dette publique. Un facteur négatif : les partenaires de l’OTAN doutent de plus en plus de la capacité des États-Unis à assurer leur protection en cas de crise. Nous considérons donc aujourd’hui le risque de nouveaux conflits comme plus élevé, car les adversaires pourraient interpréter la retenue américaine comme une opportunité.
Malgré les risques et l’incertitude accrus, les marchés boursiers sont restés étonnamment résilients au premier semestre. Les indices européens et asiatiques ont enregistré de solides gains, tandis que les actions américaines sont restées stables. Cette incertitude qui a marqué la première moitié de l’année devrait se poursuivre. Les investisseurs doivent non seulement naviguer entre les inquiétudes relatives au commerce américain, à l’immigration, à la politique budgétaire et aux décisions de la Fed, mais aussi tenir compte d’une situation géopolitique de plus en plus dangereuse.
Nous mettons en garde contre le fait que l’impact de la politique américaine se fera bientôt sentir sur les bénéfices des entreprises, notamment via la hausse des coûts et la baisse de la croissance. Nous ne sommes pas négatifs à l’égard des actions américaines, mais voyons des opportunités en dehors des États-Unis, où les valorisations sont moins exigeantes et où le développement économique est souvent positif. La zone euro et le Japon semblent avoir commencé à relever certains — mais certainement pas tous — des défis qui ont limité la croissance et le rendement pour les actionnaires dans le passé. Si ce redressement positif se poursuit, ces marchés pourraient surperformer après plus de dix ans de nette sous-performance.