Des giboulées en avril ?

Historiquement, l'arrivée du printemps est propice aux nouvelles entreprises, et particulièrement à celles qui touchent à l'exercice de la guerre. A la faveur de conditions météorologiques plus clémentes, les guerriers francs avaient pour usage depuis les temps mérovingiens de se réunir au champ de mars, qui, se couvrant du vert des pousses nouvelles, s'offrait comme lieu d'assemblée où l'on convenait des prochaines campagnes militaires.

Thomas planell
Thomas Planell

Sous la "Cinquième", c'est le temps fort, autrement belliqueux, des "prises de distance" dans le camp de la majorité, des déclarations de "disponibilité" dans l'opposition, à quelques mois des traditionnelles universités d'été. En cette période particulière, celle du premier anniversaire du krach financier qui suivit la pandémie, les parades se font sous l'étendard de la relance, les grandes manœuvres sont budgétaires, les doctrines sont industrielles.

En mars, Joe Biden signait le 11 son " Pandemic Relief Bill" de 1900 milliards de dollars, puis vingt jours plus tard, son plan infrastructures, fort de 2250 milliards.

Pour sa part, la Chine intronisait son 14ème plan quinquennal au son du clairon de la modernisation industrielle et du soutien à la consommation domestique à laquelle le Parti souhaite donner davantage de prépondérance. Des deux côtés, le rythme de la reprise est soutenu. Au point que l'inflation des prix à la production en Chine progresse en mars à son rythme le plus élevé depuis 2018, tirée par le prix des plastiques, des produits pétroliers, chimiques et des semi-conducteurs.

La résolution de la pénurie dans le secteur devient un enjeu de puissance nationale : après le rebond en juillet dernier et le retour à un rythme normalisé de 16 millions de véhicules par an en sortie d'usine, l'industrie automobile américaine (3% du PIB américain) est à nouveau contrainte de réduire sa production par manque de composants. Certains biens technologiques et électroniques restent introuvables.

Le 12 avril, le Président américain recevra les PDG de plusieurs multinationales des semiconducteurs : le trio Biden Yellen Powell est sur tous les fronts, prêt à colmater les brèches pouvant peser sur la reprise. Bien que l'activité du consommateur américain, dopée par les "stimulus check" évolue déjà au-dessus de ses niveaux précrise, que l'emploi s'améliore très nettement avec un ratio de demandes sur offres de seulement 1,1 et près des deux tiers des postes perdus déjà retrouvés, Jerome Powell, juge que la reprise reste "inégale" et "incomplète", répétant son engagement à soutenir l'emploi et la croissance au prix de l'inflation.

Parallèlement, l'hostilité renaissait sensiblement entre les deux puissances. Biden semble hériter bien volontiers de la fermeté de son prédécesseur à l'égard de la Chine que ce soit en prenant, aux côtés de l'Europe, la défense des Ouïghours ou en renforçant les mesures coercitives à l'égard des groupes technologiques chinois cotés aux Etats-Unis. La Chine, en contrepartie, prévient que le pays ne s'agenouillera plus, comme ce fut le cas il y a 120 ans, devant les armées étrangères qui pressaient alors la dernière dynastie à s'ouvrir au monde extérieur.

Elle appelle au boycott des marques se retirant du marché au coton du Xinjiang et répond par des sanctions à l'égard des diplomates et politiques occidentaux, notamment européens.

A cet égard, Bruxelles qui se félicitait d'avoir abouti avec Beijing après 6 ans de négociations à un premier accord de principe sur les investissements pourrait donc se montrer réticente à ratifier le projet. Après le retard pris par la campagne de vaccination puis le veto de la cour constitutionnelle allemande au plan de sauvetage communautaire, c'est un revers de plus pour le continent, dont l'industrie est très dépendante à la Chine.

Mais pour l'instant, la bonne tenue de l'activité de leur premier partenaire commercial continue de soutenir les exportateurs européens : les indicateurs PMI manufacturiers en Europe s'affolent, à l'appui de la revalorisation des valeurs cycliques et value. Pour les investisseurs, le mois de mars a été mouvementé malgré les records franchis par les indices américains et le retour de l'Eurostoxx 50 à quelques encablures seulement de ses plus hauts historiques.

La chute de Greensill et Archegos, entrainant des flux vendeurs de plusieurs dizaines de milliards de dollars concentrés sur quelques valeurs américaines a rappelé que la liste des fonds tombés au champ d'honneur de la gestion alternative n'est pas close.

Le blocage du canal de Suez a rappelé la fragilité de la chaine logistique mondiale, la volatilité du dollar et la hausse des taux en Turquie et au Brésil ont suscité davantage de nervosité sur les marchés émergents, les mouvements de rotation de styles sont devenus plus erratiques, s'inversant parfois au cours d'une même séance, au détriment des valeurs matières premières notamment, tandis que du côté des actifs alternatifs, le bitcoin semblait ravir à l'or son rôle de protection contre l'inflation.

A l’approche des publications des résultats financiers du premier trimestre, les investisseurs devraient désormais se focaliser sur les performances opérationnelles des entreprises. La croissance bénéficiaire attendue en 2021 (environ 35% pour les entreprises du Stoxx Europe 600) a été continuellement révisée à la hausse depuis le début de l’année (+5%) à l’appui d’un scénario macro-économique qui pourrait s’avérer meilleur que prévu (Le FMI table désormais sur une croissance mondiale de 6% en 2021, contre 5,5% il y a trois mois).

Contrairement à 2020, l’intégration de cet optimisme dans les cours s’est faite de façon plus homogène, en atteste la réduction des écarts de valorisation entre les styles. Le marché pourrait donc se montrer plus exigeant au moment de vérifier la résilience opérationnelle des sociétés dans un contexte de renforcement des restrictions sanitaires au cours du trimestre écoulé.