Trumponomics: déjà-vu Reaganomics?

Francis A. Scotland, Co-Director of Global Macro Research, Portfolio Manager of Global Macro Strategy, Brandywine Global (une filiale de Legg Mason )

L’ère Trump sera très différente, du moins si l’on en juge par la profusion d’hyperboles truffant les commentaires des experts sur le sujet : « nouvelle donne », « changement du paradigme », « changement de régime », « bouleversement de l’ordre global », « l’un de ces renversements majeurs qui durent une décennie », pour n’en citer que quelques-uns.

Le programme économique domestique de Trump devrait comprendre les mesures suivantes : réductions d’impôts pour les entreprises et les ménages, investissements publics dans les infrastructures et la défense, et dérégulation – spécialement dans le secteur énergétique. Il est évidemment tentant de comparer ce programme avec l’ère Reagan du début des années 1980. Ronald Reagan a appliqué une politique de l’offre à l’économie, en réduisant les impôts, en augmentant les dépenses en armement et en dérégulant l’économie.

Aux côtés de Paul Volcker – le président « dur mais juste » de la Réserve fédérale (Fed) – le policy mix Reagan/Volcker constitué d’une politique budgétaire expansionniste et d’une politique monétaire restrictive a ramené l’Amérique sur la voie d’une forte croissance et d’une chute de l’inflation, d’une baisse des rendements obligataires et d’une longue et spectaculaire hausse du marché des actions, soutenue par la progression des bénéfices des entreprises. Ce que l’on sait déjà du programme économique domestique de Trump n’est donc pas sans rappeler les Reaganomics. Ce qui impliquerait un réajustement significatif du policy mix monétaire et budgétaire par rapport à la politique menée au cours des huit dernières années.

Il importe à présent d’examiner les détails du programme de Trump. Comment seront financées les réductions d’impôts et les hausses des dépenses publiques ? L’administration Trump combinera-t-elle des carottes fiscales domestiques et des bâtons d’imposition à l’étranger pour influencer la localisation des investissements d’entreprises ? Quels sont les composants de son plan qui redynamiseront l’industrie manufacturière et redonneront du pouvoir d’achat aux classes moyennes ? Dans quelle mesure sa politique commerciale sera-t-elle protectionniste?

Mais les marchés n’ont pas attendu les détails. Les investisseurs s’attendent à ce que le programme domestique soit favorable à l’économie. En toute logique, les rendements obligataires ont augmenté sensiblement depuis l’élection. Les cours des actions ont progressé modestement, même si le contexte sous-jacent est plutôt une brusque rotation sectorielle pro-cyclique. Le dollar s’apprécie également mais pas aussi fortement que l’on aurait pu s’y attendre en se rappelant de la hausse de 40 % de l’indice global du dollar en termes réels lorsque Reagan est arrivé aux commandes du pays en 1981.

Nous manquons d’informations pour tirer des conclusions définitives sur les implications du programme Trump qui n’est pas encore dévoilé. Nous pouvons dire cependant que la référence économique actuelle à tout ce qui peut ressembler à un changement de paradigme à la Reagan ne peut faire l’impasse sur les conditions économiques très différentes qui prévalaient il y a 30 ans au début de l’ère Reagan. Les différences dans les deux profils économiques pourraient être aussi déterminantes pour l’ère Trump que les futurs détails des politiques de Trump en tant que telles.

Nous pointons au moins trois différences majeures entre la situation économique actuelle et celle qui existait il y a 30 ans.

1.

Reagan est arrivé au pouvoir en 1981 et a mis en œuvre de puissants incitants fiscaux au cœur de ce qui s’est révélé la plus longue récession de la période d’après-guerre. Les réductions d’impôts ont été introduites en basse conjoncture (demande cyclique déprimée), ce qui a contribué à booster le produit intérieur brut (PIB) de plus de 9 % en 1983 (voir le tableau 1). L’inflation des prix approchait les 11 % au début des années 1980 mais avait chuté à moins de 4 % en 1985. La croissance des salaires réels était très négative au début des années 1980 et a affiché environ 2 % au début de 1984 avant de rechuter sous zéro en 1985-86. Par rapport à cette période antérieure, l’économie américaine est actuellement dans la huitième année d’une de ses plus longues expansions au cours de l’Histoire.

Le taux de chômage est proche des niveaux que l’on considère le plus souvent comme le plein emploi. La croissance des salaires réels progresse sensiblement depuis 2011 et est déjà proche de 2 %, voire plus selon le mode de mesure. L’indice des prix à la consommation de base est supérieur à 2 %, un niveau qu'il maintient depuis environ 2012. La conclusion que l’on peut tirer des différences de profils économiques entre les deux périodes est qu’une politique budgétaire stimulante pourrait créer de la stagflation plutôt que de l’expansion, du moins initialement. Autrement dit, le stimulant se traduirait surtout par une hausse des prix et des salaires et non pas par une hausse de la croissance économique, ce qui serait mauvais pour les obligations et sans doute aussi pour les actions.

Une hausse de la productivité pourrait neutraliser une partie de cette réaction de stagflation mais le timing d’un stimulant budgétaire majeur à ce point du cycle économique provoquerait plus probablement une hausse des prix qu’une augmentation de la production – du moins à court terme. Des mesures de dérégulation pourraient être plus efficaces pour la productivité mais dans une perspective de long terme. Aucune de ces considérations n’est très positive pour le dollar mais ses perspectives pourraient être fortement tributaires de la réaction de la Fed.

Donaldtrumpeconomics 2.

La Fed de Volcker voulait casser l’inflation au début des années 1980. Le taux des obligations d’État fluctuait fortement au cours de ces années. Il avait culminé à 19 % en 1981 avant de retomber à 8,5 % en 1983, pour rebondir à près de 12 % en 1984 et chuter ensuite à moins de 6 % en 1986, voir le Tableau 2. Cependant, les taux réels (ou ajustés de l’inflation) des obligations d’État évoluaient en moyenne au-dessus de 6 % de 1982 à la fin de 1984, avec des taux d’intérêt nominaux significativement supérieurs au PIB nominal.

L’inflation globale des prix est tombée de plus de 15 % en 1980 à près de 1 % en 1986. Aujourd’hui, la Fed de Yellen s’interroge sur les mérites de laisser l’économie gagner suffisamment en puissance pour relancer quelque peu l’inflation. La stratégie monétaire actuelle consiste à déterminer la politique à mener pour échapper au monde des taux zéro des huit dernières années. Sur fond de légère remontée de l’inflation, les taux d’intérêt réels à court terme sont négatifs et la croissance du PIB nominal est supérieure au loyer de l’argent depuis 2010. En outre, le récent écrasement du mutiplicateur monétaire (M2/masse monétaire) suggère que toute pénurie de dollars créée par la hausse de liquidités ou d’argent après la crise pourrait finalement arriver à son terme. La conclusion que l’on peut tirer des différences dans les politiques monétaires entre les deux périodes vise les perspectives pour l’inflation et le dollar américain.

La politique monétaire très stricte du début des années 1980 n’a plus cours aujourd’hui, ce qui déforce déjà le scénario d’une nouvelle appréciation spectaculaire du dollar américain. Le taux de change réel du dollar, pondéré selon les échanges, a progressé de 40 % entre le début de 1981 et son sommet en 1985. Cette période a coïncidé avec la plus grande partie des 7 années de marché haussier, qui ont vraiment commencé en 1978 et qui a fait progresser l’indice de plus de 50%.

Il est vrai que le dollar s’est déjà apprécié de 22 % sur une période de 5 ans, alors que les taux sont à zéro. Mais la période actuelle en dit plus long sur la faiblesse extérieure aux États-Unis que sur la force américaine. Depuis lors, les conditions dans le monde se sont stabilisées et sont plus équilibrées.

Economicsusatrump 3.

B>Au début des années 1980, les comptes courants américains, comme part du PIB, étaient légèrement positifs (voir le graphique 3). Sous les Reaganomics, le déficit budgétaire fédéral n’a vraiment été réduit depuis les niveaux de la récession de -4,5 % du PIB qu’à partir de 1987, alors que le taux d’épargne des ménages était tombé de 12 % en 1981 à 7,5% en 1986. Cette tendance de désépargne domestique – en parallèle avec l’appréciation du dollar – s’est traduite par un déficit des comptes courants dépassant 3 % du PIB en 1986.

Et l’incidence négative de la baisse des exportations nettes réelles a fait chuter la croissance du PIB après son sommet en 1983, à 2 % en 1986. L’industrie manufacturière a été tellement meurtrie par la baisse de compétitivité que les États-Unis ont orchestré l’Accord du Plaza en 1985 pour encourager une coordination multilatérale destinée à faire baisser le dollar. Le nombre d’emplois industriels aux États-Unis a atteint un sommet à 19,5 millions à la fin de 1979. Il est tombé à un plancher de 16,7 millions en 1983 avant de se redresser. Mais il a plafonné à 18 millions en 1984 en raison de la hausse du dollar et du déficit commercial. Les emplois dans le secteur manufacturier ont évolué plus ou moins à ce niveau pendant 15 ans avant de voir leur nombre chuter après 2000, lorsque la Chine a rejoint officiellement l’Organisation mondiale du commerce en 2001.

Par rapport à Reagan en 1981, Trump prendra ses fonctions avec un déficit des comptes courants déjà proche de 3 % du PIB. Tout creusement du déficit budgétaire, en raison de réductions d’impôts et de hausse des dépenses, en parallèle avec une désépargne du secteur public, ne ferait qu’aggraver le déficit extérieur. La force du dollar serait particulièrement pénalisante – en raison d’une économie globale nettement plus concurrentielle aujourd’hui. Les pays émergents et en voie de développement représentent actuellement plus de 60 % du PIB global. En outre, la rhétorique protectionniste de la campagne présidentielle est en totale contradiction avec le besoin de financer un déficit extérieur encore plus important, sans parler de la dette publique. Le rapport dette publique-PIB était inférieur à 30 % au début des années 1980; aujourd’hui, il est proche de 90 %.1 Ce dont Trump a réellement besoin est une dépréciation majeure de la valeur réelle du dollar américain pour ramener des emplois manufacturiers en Amérique – et non pas une appréciation.

La force du dollar a vidé de sa substance l’industrie américaine dans les années 1980 et les partisans de la politique de l’offre l’ont reproché à la Fed. La flambée du dollar s’est traduite par une chute de 54 % du prix de l’or, qui est la référence en termes de stabilité monétaire aux yeux des partisans de la politique de l’offre. Au début de cette année, on a beaucoup spéculé – lors des réunions de février du G20 à Shanghai – sur un accord secret visant à stabiliser le dollar. De fait : depuis lors, la Fed se montre plus attentive à la force du dollar. Il est vrai que des accords de ce type peuvent s’avérer utiles tant pour les États-Unis que pour le reste du monde. Qui plus est : le mandat de Janet Yellen se terminera au début de 2018. Il semble quasi inévitable que la Fed connaisse une certaine forme de changement de régime.

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Quelques réflexions récapitulatives

Après les élections américaines, les investisseurs ont tablé sur la mise en œuvre prochaine d’une politique budgétaire expansionniste et d’un resserrement de la politique monétaire. Ces perspectives ont fait progresser les rendements obligataires et le dollar, ce qui équivaut à un resserrement des conditions de liquidité. Ces tendances pourraient faire long feu et/ou se retourner partiellement au début du prochain trimestre si le changement anticipé du mix budgétaire/monétaire est reporté, abandonné ou décevant.

Plus généralement, les contrastes entre le profil économique actuel et la situation prévalant au début des années 1980, lorsque le mix budgétaire/monétaire a changé sous l’administration Reagan, plaident pour une réaction des marchés différente de celle d’il y a 30 ans – elle devrait être plus modérée. Une réaction plus du type stagflation au stimulant budgétaire est négative pour la duration. Le marché des actions, qui a déjà beaucoup progressé, semble plus vulnérable à une compression multiple provoquée par tout recul de la duration.

Les baisses d’impôts sont toujours favorables à une devise, mais la force du dollar rend l’économie moins compétitive et empêcherait la réalisation de l’un des objectifs majeurs de Trump, à savoir ramener des emplois industriels en Amérique et booster les revenus réels des classes moyennes. En outre, les besoins de financement extérieur seraient beaucoup plus importants. La manière dont ces développements seront gérés déterminera en grande partie les returns du marché durant l’ère Trump. L’ironie pourrait être qu’après avoir accusé la Chine de manipuler sa devise, l’administration Trump et le géant rouge s’entendent pour manipuler le dollar en vue de tuer dans l’œuf toute appréciation du billet vert de l’ampleur connue durant l’administration Reagan, qui avait conduit à l’Accord du Plaza pour le faire rechuter. Un changement de régime à la Fed est une autre perspective probable en 2018.

Dans le programme Trump, le principal risque pour l’économie et les marchés des capitaux est sa politique commerciale. Le protectionnisme est incontestablement négatif pour l’économie et les marchés des actifs. Actuellement, la plupart des investisseurs semblent espérer que ses envolées protectionnistes n’étaient que des slogans électoraux. Le marché s’attend plutôt à ce que l’administration Trump mène la politique commerciale américaine dans une perspective bilatérale (équitable) et non plus multilatérale (libérale).

Ce qui s’inspirerait en réalité aussi de l’ère Reagan. Parce que l’image de Reagan, prétendu grand partisan du « free trade », ne correspondait pas du tout à sa politique dans les faits. À un point tel que le grand (feu) Milton Friedman avait trempé sa plume dans du vitriol, dans une tribune publiée dans The Wall Street Journal en 1987, pour souligner qu’à côté des initiatives commerciales de l’administration Reagan, les tarifs douaniers Smoot-Hawley Tariff étaient roupies de sansonnet. Ce n’est que durant les années 1990 que les États-Unis ont vraiment commencé à mettre en œuvre une législation libéralisant les échanges commerciaux.

1Source : Organisation de Coopération et de Développement économiques